Un producteur de spectacles m’a dit il y a quelques années qu’il adorait les shows d’Aznavour, mais que l’artiste présentait, grosso modo, toujours le même spectacle. Ce n’était certes pas le cas, mardi, à la Maison symphonique, lorsque le légendaire Charles a livré une performance où passé, présent et avenir se sont conjugués en mode renouveau.
Par Philippe Rezzonico
Aznavour offre toujours des nouvelles chansons dans ses programmes. Jamais n’en a-t-il autant livré dans une tournée depuis deux décennies. Même pas lors de La dernière tournée, présentée en 2002 au Québec. Pas moins de sept nouvelles compositions de l’album Toujours offertes dans les premières 45 minutes du programme. Le moment présent, c’est sa manière, à Aznavour.
L’intérêt, au-delà du fait que Tu ne m’aimes plus ou Viens m’emporter comptent parmi les belles récentes chansons d’amour du monsieur, c’est que certaines nouvelles offrandes font le pont intemporel. Ce printemps-là (superbe), composée en mémoire du passé (Mai 68) est pourtant d’actualité comme jamais. Surtout au Québec. Va, chanson de rupture, est porteuse d’avenir.
Aznavour se fait un devoir d’extraire de son catalogue gigantesque des pépites offertes avec parcimonie durant des décades. Mardi, il a amorcé sa performance avec Je n’ai pas vu le temps passer…, tirée du disque du même nom des années 1970, durant laquelle il a actualisé le texte pour insérer son âge (87 ans). Rareté ? Je ne l’avais jamais entendue après 25 spectacles répartis sur trois décennies… Pas plus que Mon ami, mon Judas, extirpée de Autobiographie (1980), qui fut livrée avec puissance. Je bois – 25 ans d’ancienneté au compteur -, également interprétée avec fermeté, n’est pas la plus assidue au bataillon non plus.

Charles Aznavour sera de retour à la Maison symphonique mercredi, vendredi et samedi. Photo Alain Décarie.
Et, bien sûr, Aznavour offre des fournées d’immortelles. Ça, c’est le passé. Mais en raison du contexte intimiste – moins de musiciens que d’ordinaire -, nous avons eu droit à des relectures plutôt étonnantes qui possédaient un souffle différent. Je M’voyais déjà amorcée sur un tempo ralenti ? Une première. On avait déjà vu des variations avec Ma jeunesse, mais jamais aussi prononcées que cette fois avec une portion entièrement a cappella avant l’arrivée de la musique. Du tonnerre. La mamma avec sa rythmique accélérée n’était pas loin d’être métamorphosée.
L’impitoyable temps
Oui, le temps, ce temps auquel personne n’échappe, n’épargne pas Aznavour. On ne sait trop si c’est dû à son rhume ou au bas volume de son retour de son ajusté sur le tard, mais Mourir d’aimer a sérieusement dérapé. Aznavour a même changé de clé pour la finale. Moins de puissance en bout de course également pour Paris au mois d’août également, quoique fort bien interprétée dans ce cas-là.
Le Français aux racines arméniennes prend une prise de risque moindre quand il fait semblant de tituber à la fin des Deux guitares et s’offre des tourniquets plus lents en clôture de Emmenez-moi. Aucun reproche ici. Pas sûr que je tenterais ça, même à mon âge…
Les trous de mémoire qu’il évoque lui-même ? Aucun passage à vide évident pour cette première de quatre spectacles en dépit du fait qu’Aznavour regarde bien plus souvent le prompteur qu’alors. Particulièrement en feu au plan de l’humour, il se moque de lui-même en faisait semblant de lire durant le refrain de Mes emmerdes.
Plus et moins
Faits saillants du spectacle ? La version percutante de Désormais (quelle batterie !) et la somptueuse offrande de Il faut savoir, version afters-hours 1975. La déception? Nous étions bien à la Maison symphonique, non ? Si ce n’avait été du décor, je ne l’aurais jamais su. J’ai assisté à des spectacles punk où la sono était supérieure. A corriger.
Au final, en dépit de son rhume, Aznavour a livré une performance de deux heures et 15 minutes sans entracte ponctuée de 28 chansons à cinq semaines de ses 88 ans!
Je n’étais pas en ville la semaine dernière, mais on m’a rapporté qu’un chroniqueur avait reproché à la légende de la chanson française de demander un prix maximal de près de 200 $ par billet pour cette série. Lorsque Madonna, qui demande 400 $ pour deux heures de performance, chantera – vraiment – durant deux heures et quart à 88 ans, on en reparlera.