Bryan Ferry: le manque d’amour

Bryan Ferry. Photo promotionnelle.

Love Is the Drug, comme on dit. L’amour, c’est l’essence, la passion, la drogue de la vie. Il manquait quelques-uns de ces éléments, vendredi, lors du spectacle de Bryan Ferry au théâtre St-Denis, où le catalogue de titres émérites de Roxy Music n’a pas toujours eu droit au traitement royal qu’il méritait.

Par Philippe Rezzonico

Bryan Ferry n’est pas d’une grande assiduité à Montréal. Il n’en était qu’à son troisième passage depuis deux décennies et à son premier en 12 ans. Vu sous cet angle, la perspective d’assister à un spectacle où plus de 80 pour cent des chansons sont tirées des albums classiques de Roxy Music faisait saliver.

Encore faut-il que la livraison soit à la hauteur. Bonne idée d’amorcer le tout avec la première chanson du premier disque. Sauf que Re-make/Re-model a été torpillée par une sono déficiente qui transformait en cacophonie ce bijou musical.

On n’entendait presque pas le sax – pourtant pièce maîtresse – et j’ai comme l’impression que les musiciens ont confondu abandon et cohésion. On peut espérer le premier sans faire abstraction du second. Sentiment similaire avec Ladytron que j’avais écouté en boucle en après-midi, tant dans sa version studio originale (1972), que sur le disque de la tournée mondiale de Roxy Music (2001). Là, ça ressemblait à une bouillie difforme.

Et ça, c’était quand on percevait la voix de Ferry, ce qui n’était pas évident durant Kiss and Tell et Salve To Love. Cette dernière, chanson favorite de bien des dames, a même eu droit à la présence d’une spectatrice qui est venue s’installer à côté de Ferry, alors qu’il chantait au micro. L’artiste l’a complètement ignoré. Flegme britannique? Ça manquait d’amour, disons.

Ferry aurait dû installer son clavier à côté de son micro, à l’avant-scène, plutôt que dans le coin droit de l’arrière-scène, derrière son guitariste. Je n’ai jamais vu Roxy Music. Ce repli était peut-être justifié à l’époque où Ferry partageait la scène avec Brian Eno, Andy McKay, Graham Simpson, Paul Thompson et Phil Manzarena, mais là…

Elle est magnifique la saxophoniste Jorja Chalmers avec sa coupe de cheveux à la Mireille Mathieu et ses yeux à la Catherine Zeta-Jones, mais le truc essentiel avec un saxophone ténor, soprano ou autre, c’est qu’il faut souffler dedans… Ce qui semble bien difficile dès que le groupe interprétait une composition vivifiante de Roxy Music. Où es-tu Candy Dulfer quand on a besoin de toi?

Ferry m’a finalement happé avec une dense interprétation de Stronger Through the Years, qui précédait deux titres à paraître sur son disque Avonmore : Loop de Li et Johnny and Mary, qui n’ont pas grand-chose à voir avec les versions d’origine de Johnny Thunder (Loop de Loop, en 1963) et de Robert Palmer. Johnny and Mary, ralentie et dense, était envoutante et hypnotique. Mon coup de cœur.

Le segment Avalon

C’est là que Ferry a enfin mis tout le monde d’accord en servant quatre titres/composition d’Avalon : Tara (là, on percevait bien le joli solo de Chalmers), Take a Chance On Me, More Than This ainsi que la chanson-titre.

More Than This, entendue ad nauseam sur les ondes FM dans les années 1980, avait une enveloppe minimaliste (piano-voix) pas désagréable du tout. Ce segment a permis à Ferry de lancer le dernier droit où, soudainement, il semblait habité.

Yeux vers le ciel, poses classiques, gestuelle décoincée; c’est comme si un verrou venait de sauter. Love Is the Drug a assurément été le titre qui a été joué le plus près de la lettre, ce qui n’était pas pour déplaire aux amateurs qui – enfin – étaient debout.

Rien de tel qu’un théâtre St-Denis en transe pour apprécier la fougue de Virginia Plain et de Editions of You, cette fois, avec une sonorité acceptable et une forme d’unisson musicale. Ferry est revenu avec une irrésistible Let’s Stick Together en ouverture de rappel avant de conclure avec la magnifique Jealous Guy, de Lennon.

Mais même là, il n’a rien fait d’autre que de dire merci, de sourire et de saluer. Le minimum syndical. Pas un mot, une parole, un geste vraiment concret qui aurait pu montrer son appréciation à cette foule qui chantait « Happy Birthday ! » avec ses musiciens alors qu’il avait déjà quitté les planches après 82 minutes de prestation.

Quatre-vingt-deux minutes pour un type qui a plus de quarante ans de métier et seulement 69 ans? Come on! McCartney et Jagger, plus âgés, sont sur scène durant trois et deux heures, respectivement. On aurait pu avoir Bitters End pour boucler une heure et demie de show, non?

Oui, Love Is the Drug, comme on dit. L’amour, c’est l’essence, la passion, la drogue de la vie. Mais il faut croire qu’elle s’émousse – du côté de la scène et non du parterre – quand on vieillit.