La limousine blanche qui s’étire à l’infini est antinomique sur le Plateau en ce début d’après-midi de semaine, mais, pas d’erreur, il s’agit bien mon de carrosse. À preuve, la limo s’immobilise devant moi et la porte arrière s’ouvre, comme si nous étions dans un roman policier.
Par Philippe Rezzonico
Rien à craindre, toutefois. Ladite voiture de luxe n’a pas été envoyée par un magnant de la construction corrompu ou un mafieux. Sur le siège arrière, tout sourire, Damien Robitaille, coiffé de son chapeau et vêtu de son complet estival, m’accueille avec faste. Bienvenu dans l’environnement de l’homme qui vit au présent.
Alors que le mastodonte de tôle et de métal se fraie un chemin à travers les rues résidentielles de peine et de misère, Damien joue à fond le jeu de la vedette que l’on imagine arpenter les grandes avenues de South Beach. Le parallèle vient d’autant plus aisément à l’esprit que le Franco-Ontarien établi au Québec depuis des lustres a enregistré son tout nouveau disque, Omniprésent, à Miami.
Chaîne stéréo intégrée, longues banquettes de cuir, lumière d’ambiance… Tiens, Damien offre même le champagne (NDLR : du vrai champagne. Pas du mousseux. La classe). Ça nous change des entrevues standards dans les petits cafés du Plateau.
Le personnage Damien
Un personnage, ce Damien. Ces deux précédents albums se nommaient L’homme qui me ressemble – à saveur pop folk – et Homme autonome – résolument inspiré de l’univers « Dance » des années 1970.
Ici, au plan de la phonétique, « homme » est encore présent dans Omniprésent, comme si chaque nouvelle offrande était l’occasion de nous présenter son évolution personnelle autant que sa progression musicale.
« C’est pas calculé, note Robitaille, en pouffant de rire. On s’était dit qu’on en avait fini avec les titres avec « homme », mais comme j’avais une chanson nommée Omniprésent, je me suis dit que c’était une façon de clore une trilogie. Peut-être que j’ai fini de me questionner sur c’est quoi être un homme. »
Un homme qui vibre à d’autres sonorités en 2012. D’emblée, le groove inspiré de la soul a fait place aux effluves latines et à tous ses dérivés, comme si l’enregistrement à Miami avait fortement influencé l’écriture de l’auteur-compositeur et interprète.
Mambo et maracas
« C’est le contraire, déclare Damien. Tous les démos que j’avais enregistrés ici sonnaient déjà latino. C’est peut-être ça qui m’a incité à aller enregistrer là-bas. C’est quand même la ville la plus latino au nord de Mexico. Les inspirations latines, elles étaient déjà là. »
Il y a quand même une autre raison : la présence d’une copine avec des racines colombiennes. Capitales, les histoires d’amitié ou de cœur… Elles ont influencées plus d’un artiste sur le fond et la forme. Ce qui est vrai pour Damien Robitaille dans les deux cas.
« Ce qui m’inspire, c’est toujours de découvrir un autre style de musique et d’apprendre à jouer avec ça. J’ai été très inspiré par les percussions pour ce disque. J’ai acheté des bongos, des cloches à vache, des « shakers » maracas… J’ai fait mes démos avec ces instruments. Et quand tu as plein de percussions, tu n’as pas besoin de drum pour que ça groove bien. »
Malgré les apparences, Robitaille n’oublie jamais l’aspect pop qui caractérise tout ce qu’il fait. Et il a toujours cette façon d’écrire qui lui est propre. Qui penserait à fait une chanson d’amour qui repose sur le jeu de Serpents et échelles ?
« Faut jamais oublier que c’est de la pop. On veut que ça rejoigne tout le monde. Et je suis un gars de jeux de société. Remarque, l’histoire d’amour est arrivée en premier et c’est là que je me suis dit que c’était comme les serpents et les échelles. »
Pop engagée
De la pop, en effet, et à forte teneur mélodique. Probablement plus que sur ses compositions d’antan. Faut entendre Quelles sont les chances?, Nos traces sur la plage, digne d’un classique pop du tournant 1950-1960 avec l’ajout de cuivres, et Belle bénévole. Drôlement irrésistible et totalement assumé. Autant que Au pays de la liberté, une véritable chanson engagée comme jamais il n’en avait jamais gravée une.
« La chanson repose sur une cumbia, une musique traditionnelle de Colombie. La musique traditionnelle des esclaves qui avaient les fers aux chevilles. Tu peux voir ça comme étant un lien avec des immigrants, des esclaves et même sur le plan personnel : si tu ne te sens pas bien dans ta vie, libère-toi de tes chaînes. »
Si vous voulez avoir une idée des racines de Damien, la dansante Mambo métissée est révélatrice. Au point qu’elle est presque un portrait culturel du Québec de 2012. Presque…
« La première partie (Mon père est canadien, amérindien, francophone/Ma mère est russe, allemande, américaine, anglophone), ça, c’est un vrai portrait de ma famille. Le reste (égyptien, japonais, danois), c’est très exagéré… »
Exagéré? Damien est l’exemple même de l’exagération de bon goût et de bon ton. Et c’est pour ça qu’il est omniprésent. Depuis que Homme automne l’a fait découvrir au grand public et depuis qu’il a eu droit à des scènes extérieures sur lesquelles il a pu démontrer ses talents de bête de scène, qui pourrait s’en passer?
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Damien Robitaille, Omniprésent (Audiogram). Disponible aujourd’hui.