Johnny Hallyday : idole un jour, idole de toujours

Johnny Hallyday, lors de son passage à Montréal il y a deux ans. Photo d’archives.

Dès qu’il a enregistré L’Idole des jeunes en 1962, Johnny Hallyday est devenu instantanément la figure emblématique de cette chanson, bien plus que Ricky Nelson qui avait créé la version originale. Et pour ses fans, Johnny est toujours cette idole des jeunes et des moins jeunes, cinq décennies plus tard.

Par Philippe Rezzonico

Nettement plus l’idole des Français, il est vrai. Le but de la tournée Born Rocker qui a sillonné le Québec depuis dix jours était de se produire dans de « petites salles », par opposition au Stade de France et autres Zénith auxquels Johnny est abonné dans l’Hexagone.

En France, dites-vous que les 3100 sièges de l’équivalent d’une salle Wilfrid-Pelletier auraient été occupés, et que nous n’aurions pas été de 2730, comme ce fut le cas samedi soir. Si les amateurs de Johnny se comptent en moins grand nombre sur nos terres, ils gueulent tout aussi fort que ceux d’Europe et, comme tous les fans, ils font fi d’un tas de détails irritants pour les critiques.

Commençons par la fin, pour faire changement. Une heure et 35 minutes (20h05-21h40) de prestation!? Et encore, il faut soustraire cinq minutes d’applaudissements entre les deux rappels et Old Time Rock N’ Roll, de Bob Seeger, interprétée par les deux choristes de Johnny et son solide band alors qu’il avait quitté la scène.

Au total, le roi du rock français est demeuré une heure et 25 minutes sur scène. Je connais des fans d’autres artistes internationaux qui ont gueulé pour moins que ça. Personne n’espérait un spectacle de trois heures, ça va de soi, mais une « tournée intimiste » ne rime pas nécessairement avec « tournée écourtée ». En 2000, ce même Johnny avait largement franchi la barre des deux heures dans une « petite salle » nommée le théâtre St-Denis.

Est-ce l’âge? En effet, il va avoir 71 ans le mois prochain, le Jean-Philippe Smet. Mais ça ne parait pas une seconde dans sa voix. Il a encore la capacité d’aller chercher la note qui fait vibrer avec ce timbre reconnaissable entre tous. Il fallait l’entendre en finale du Pénitencier et durant les explosions vocales que sont toujours Que je t’aime et Ma gueule. C’est encore phénoménal. Le temps n’a pas de prise sur sa voix. En revanche, il en a au plan physique.

Hallyday a passé presque autant que temps assis sur son tabouret que debout dans ce spectacle, ce qui ne posait aucun problème pour les livraisons impeccables de Joue pas de Rock N’ Roll pour moi (avec le concours de la foule), Quelque chose de Tennessee (enregistrée à l’époque à Montréal), I’m Gonna Sit Right Down and Cry (Over You) d’Elvis et Tes tendres années, absolument fabuleuse en mode guitare-voix. Du pur bonheur.

Mais on va comparer des comparables (artistes de 70 ans) : Paul McCartney offre des spectacles de trois heures et Mick Jagger prend dix minutes de pause lors d’un show de deux heures 15 minutes. Oui, le Johnny vu hier soir n’est plus le Johnny d’antan. Ça donne un choc, mais il faut l’admettre. Constat plus facile à faire pour un critique que d’un fan d’une idole, j’en conviens.

Assumer le genre

Avec un titre de tournée comme Born Rocker, il faut assumer le genre. Aucune surprise donc, de voir la symbolique Je suis né dans la rue, l’incontournable Gabrielle (le gros, gros délire) et la puissante Fils de personne au programme. Bonne idée de ressortir des boules à mites La terre promise, adaptation française vitaminée de la Promised Land de Chuck Berry. Encore plus rarissime, Voyage au pays des vivants (1969), même si je me demande combien de fans l’ont reconnue au premier chef.

En dépit de ses variantes, on nous offrait plus ou moins la même tournée qu’au Centre Bell en 2012 : 14 titres sur les 21 de samedi était au programme il y a deux ans. Quand on sait à quel point le catalogue de Johnny est sans fond…. Et Hallyday, il faut avouer, ne tient jamais compte de notre marché distinctif. Peut-être est-ce parce qu’il ne vient pas souvent (trois passages depuis 1976).

Réalise-t-il qu’il n’a pas chanté au Québec Retiens la nuit – de loin sa ballade la plus fabuleuse – depuis 40 ans? Que son dernier titre radiophonique qui a marché très fort chez nous fut J’ai oublié de vivre? Qu’au lieu de laisser ses choristes chanter Old Time Rock N’ Roll, il aurait pu interpréter sa propre version française du même titre, Le bon temps du Rock n’ Roll?

Rappelez-vous, à l’été 2012, sur les Plaines d’Abraham, il n’avait pas chanté Le pénitencier – son plus grand succès de tous les temps – devant quelque 80 000 personnes. Il avait fallu une critique de Sylvain Cormier dans Le Devoir lui reprochant d’avoir fait impasse sur une demi-douzaine de titre phares connus au Québec pour que Johnny, beau joueur, insère Le pénitencier et Hey Joe, deux mois plus tard, lors de ses spectacles au Centre Bell.

J’ai eu la même réaction hier soir à l’écoute de Dead Or Alive, de Lonnie Donogan, au premier rappel. Nous avions vraiment envie d’entendre ça? Dans le même genre rentre-dedans, imaginez Noir c’est noir, Sam’di soir, Elle est terrible ou n’importe lequel des twists de jeunesse insérés à ce moment du spectacle..

Mauvaise prestation? Pas une seconde. Ce fut un très bon spectacle, vibrant et vivant, livré avec professionnalisme par une légende de la musique. Mais ce spectacle trop court est indiscutablement déficitaire en regard du passé tant Hallyday, avec son charisme et sa présence, a mis la barre si haut au cours des décennies. Mais ça, c’est l’avis du critique.

Les fans de l’idole, eux, sont ressortis de la salle Wilfrid-Pelletier avec le même sentiment envers Johnny que ceux qui ont entendus L’Idole des jeunes une première fois en 1962.