La jolie fille tâtonne sur les boutons de l’ascenseur de l’hôtel Hyatt, tout en s’adressant en anglais à voix haute au jeune homme qui l’accompagne : « Third floor? Second? Where’s the exit? »
Par Philippe Rezzonico
Adossé dans l’ascenseur, je réponds en français : « Pour la sortie, c’est le troisième étage. » J’ai eu droit à un gros « merci » accompagné d’un sourire lumineux. Je ne pouvais pas me tromper, je venais voir le nom de la jeune femme aux grosses lunettes solaires sur son accréditation qui lui pendait au cou: Émilie Simon.
Nous allions tous trois au même endroit : moi pour voir son spectacle, elle pour le livrer. D’où mon invitation à la guider jusqu’au Club Soda à la sortie de l’ascenseur. Elle accepte, voit une accréditation dans mon cou, à laquelle figure en premier lieu l’accès gradins pour le spectacle de Pierre Lapointe, plus tard en soirée.
« Vous travaillez avec Pierre Lapointe ? »
« Non. Journaliste. J’ai bien dû faire trois entrevues avec vous depuis le début de votre carrière ». Toutes au téléphone, dois-je préciser. Je me présente. Poignée de mains, autre grand sourire.
On marche d’un pas rapide. Elle précise qu’elle est un peu juste.
« On nous a dit que vous êtes attendue sur scène à 19h50 ».
« Bah… Ça sera 20 heures. C’est un peu tôt… » (sourire)
Nous parlons du nouveau Club Soda et de sa configuration sur le long. De l’acoustique. On évoque aussi le Spectrum.
« Ah, le Spectrum… Quelle grande salle ! », dit-elle.
Je précise que l’on « attend toujours l’immeuble qui doit le remplacer, sept ans après sa démolition ».
Nous arrivons à la hauteur du TNM. Émilie salue des amies et on poursuit jusqu’à l’intersection Sainte-Catherine et Saint-Laurent.
« Nous voilà arrivés. Vous rentrez par en arrière, je crois… »
« Oui… Non… On peut rentrer là, non ? »
Avant que j’ai eu le temps de dire que ce n’était peut-être pas une bonne idée, Jérôme Minière ayant amorcé la première partie (il est 19h07), Émilie entre d’un pas alerte dans le Soda, passe à côté du plus souriant portier en ville (Pierre-Émile) et s’apprête à rentrer où il ne faut pas.
Pierre-Émile s’en aperçoit, il se retourne pour interpeller la jeune femme quand je lui glisse rapidement : « C’est ton artiste! »
Toujours charmeur et gentleman, le portier du Soda précise à Émilie Simon qu’il faut passer par en arrière, qu’on va l’accompagner et il tourne vers son collègue de l’entrée, qui, comme lui, peut difficilement quitter son poste à ce moment.
Regard vers moi: « Tu peux l’accompagner? », me lance-t-il?
« Bien sûr. C’est ce que je fais depuis dix minutes. »
D’un pas rapide, on ressort, fait le tour du pâté de maisons et on arrive devant la porte des coulisses au moment même où elle s’ouvre.
« Tout un timing ! », lance la chanteuse.
Sourires, remerciements, on referme la porte et je me dirige de nouveau vers l’entrée en me disant que jamais je n’avais mené une artiste de son hôtel à sa salle de spectacle, moi… Une première toute en douceur, comme cela ne peut qu’arriver que dans un festival où tout le monde est d’humeur conviviale, comme aux FrancoFolies.
Mue
Environ une heure plus tard, à 20 heures tapantes, Émilie Simon s’amène sur scène et entonne Perdue dans tes bras, l’une des nouvelles chansons de son album Mue qui sera le point d’ancrage du spectacle.

Émilie Simon: touchante et abrasive, tout à la fois. Photo courtoisie FrancoFolies/Victor Diaz-Lamich
Les nouvelles compositions font la part belle aux mélodies, un peu comme si Émilie était revenue à l’essence des chansons. Au plan musical, nous étions plus proches de la Simon vue sur la scène extérieure des Francos et en première partie de Marc Déry au Spectrum en 2003, que lors de ses présences au Club Soda en 2006 (en programme double avec Ariane Moffatt) et au Spectrum, pour son dernier passage en 2007.
Oui, Émilie sort la Fender pour nous jouer I Wanna Be Your Dog, des Stooges, ou pour interpréter une version dissonante de Wicked Games, de Chris Issak, mais ce sont les nouvelles chansons qui séduisent.
Avec sa voix de petite fille – ça, ça ne change pas -, elle a décliné avec assurance les Paris, j’ai pris perpète, Encre – écrite à Montréal chez sa représentante Sonia Cesaratto – et Menteur qui ont fait mouche, lorsque soutenue par son excellent trio de musiciens. Au milieu du parterre, Mathieu Chédid, sans son accoutrement de – M -, semblait apprécier au plus haut point, lui aussi.
Le classique Fleur de saison était particulièrement réussi et la chanteuse a su toucher au cœur avec Désert et la toute nouvelle Les étoiles de Paris. C’est marrant. Émilie Simon nous a habitués à des enrobages électro-pop, mais c’est parfois quand ses chansons sont à la plus simple expression que l’émotion est à son comble.
Pierre et Mathieu
Pierre Lapointe avait amorcé son spectacle extérieur de Punkt depuis une bonne vingtaine de minutes quand je suis arrivé à la Place des festivals. Un Pierre Lapointe totalement en contrôle avec ce spectacle rodé au plus haut point.
Si je travaillais pour Lapointe, comme le pensait Émilie Simon, je lui aurais quand même dit de ne pas porter cet affreux t-shirt extra-long, lui qui nous a habitués à des vêtements de haute couture audacieux.
Mais pour que ce spectacle de Punkt soit un « événement », ça prenait une valeur ajoutée, en l’occurrence, celle de Mathieu Chédid au rappel. Je venais de comprendre pourquoi il avait quitté si tôt le spectacle de sa compatriote française.
Pierre – qui admire Chédid – et le Français ont partagé une jolie version acoustique de Nostalgic du cool et tout le monde s’est ensuite lancé dans 2 par 2 rassemblés, qui a eu droit à une finale hendrixienne, gracieuseté de Chédid.
Lapointe a enchaîné en livrant en bivouac avec ses musiciens l’une des nouvelles chansons qu’il présentera vendredi soir, lors de son spectacle au Musée Grévin, avant de conclure avec une En pointant le nord, piano-voix, à donner des frissons.
Le désert Rachid
En me dirigeant vers le Métropolis, je croise Julie Martel, l’adjointe de longue date d’André Ménard, de Spectra.
« Est-ce que Pierre Lapointe a terminé ? », me demande-t-elle.
« Oui », dis-je, à Julie, qui revient du Métropolis où Rachid Taha a amorcé son spectacle il y a une vingtaine de minutes.
« C’est si mauvais que ça pour que tu quittes? Il est bourré? »
« Non. C’est très bien, mais c’est vide. »
Elle avait raison. Quand je suis entrée dans la salle, j’ai pu me rendre jusqu’à la colonne qui soutient la loge de gauche, c’est-à-dire, environ à 20 pieds de la scène, sans devoir m’excuser auprès de quiconque. Quand on pense que Rachid a déjà livré des spectacles dans cette salle de 2300 places où il a fallu refuser du monde à la porte…
L’ironie, c’est qu’il était solide, le Rachid. Pas sauté au point de montrer ses fesses comme il l’avait fait il y a plus d’une décennie dans cette même salle, et pas ivre comme il l’était lors de son spectacle extérieur au FIJM, en 2007.
En voix, en forme, l’œil clair, Rachid n’avait besoin que d’un lutrin pour se souvenir des certaines paroles. Si cette foule n’aurait pas été suffisante pour remplir le Spectrum, elle n’a pas cessé de danser une seconde sur l’enfilade de nouveaux titres et de classiques du genre Bent Shara.
Rachid a même pris la pose Elvis, avant de nous offrir une version arabe de it’s Now Or Never (O Sole Mio). Son guitariste Akim a dédié une chanson à Lhasa de Sela et Taha a harangué la foule à plusieurs reprises, jetant son fiel sur le Front national et la France.
« Réunissez-vous! Ne faites pas comme en France… À bas les fascistes! En France, il y a la grève des trains, et bientôt, le Front national au pouvoir. Dehors! Dehors les étrangers!, » a-t-il lancé, avant d’interpréter Voilà! Voilà!, titre classique où les étrangers sont pointés du doigt pour les problèmes de la France.
Excellente mise en bouche pour mettre la table pour Écoute-moi camarade et l’épique Rock The Casbah. Finalement, peu de gens se sont déplacés pour voir l’ami Rachid et c’est dommage. Il était dans un fichu de bon soir.