Pendant quatre incroyables soirées, en novembre 1961, John Coltrane a transformé le vénérable Village Vanguard en laboratoire pour y expérimenter diverses formes et textures. Bien installés dans ce lieu sacré du jazz newyorkais, ses amis et lui parviendront à créer de délicieux élixirs de béatitudes.
Par François Vézina
Donnant un bref aperçu de ce qui s’est alors déroulé sur la scène du célèbre club, cet enregistrement illustre fort bien les recherches formelles de ce diable d’homme et de ses complices.
Trois formations, trois morceaux, trois climats.
Trois merveilles.
L’album s’amorce par une composition de Coltrane inspirée d’un chant religieux (Spiritual). Pour l’occasion, un musicien fidèle de l’univers coltranien puisqu’il en fut un des architectes, Eric Dolphy, est venu rejoindre le quatuor. Sa clarinette basse donne une couleur sombre à l’introduction mais le temps s’éclaircit dès que démarre le beau solo de Coltrane au ténor. Le saxophoniste semble même exercer une influence apaisante sur Dolphy. Très belle intervention de McCoy Tyner, bien mise en lumière par Reggie Workman, qui laisse ensuite place à un deuxième passage du patron, cette fois, au soprano.
Le standard Softly As a Morning Sunrise laisse beaucoup d’espace à Tyner. Le pianiste y présente le thème avant de s’aventurer sans arrière-pensée dans un autre brillant solo. Coltrane n’intervient au soprano qu’à mi-chemin. Pendant ces trois dernières minutes, le quatuor est en parfaite symbiose.
En toute liberté
Mais la véritable pièce de résistance du disque est une longue pièce de près de 16 minutes intitulée Chasin’ the Trane.
Ce morceau interprété en trio est un véritable chef-d’œuvre de fureur dominée. Les trois premières mesures semblent annoncer un gentil blues bien enlevé mais le saxophoniste dynamite le thème pour mieux s’en affranchir et donner libre cours à sa puissante imagination.
Poussé par les frappes frénétiques d’Elvin Jones, Coltrane est à son tour influencé par l’ami Dolphy en s’amusant avec les écarts, la dissonance, en allant au bout des possibilités techniques de son instrument. Il se promène constamment au bord du gouffre sans jamais y plonger.
Impitoyable, Coltrane ne donne aucun répit à l’auditeur: les idées se succèdent les unes aux autres. Malgré ce bouillonnement, le discours se tient de façon remarquable.
Moment important pour la suite des choses: Jimmy Garrison a remplacé Workman à la contrebasse. Son jeu régulier, qui sait ménager quelques surprises, convaincra Coltrane, assurant au nouveau venu sa place au sein du légendaire quatuor pour les quatre ou cinq années à venir.
On aura longtemps regretté que la maison Impulse! sorte au compte-gouttes les autres extraits de ces exaltantes soirées du Village Vanguard.
Mais la patience des fans de Coltrane sera finalement récompensée en 1997 lorsque sera publié The Complete 1961 Village Vanguard Recordings (4 disques).
Joie et bonheur incommensurables, il va s’en dire.
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Le Top-50 de Frank (4): John Coltrane, Live at the Village Vanguard
Étiquette: Impulse!
Enregistrement: Novembre 1961
Durée: 35:51
Musiciens: John Coltrane (saxophone soprano, saxophone ténor), McCoy Tyner (piano), Elvin Jones (batterie), Reggie Workman (contrebasse), Jimmy Garrison (contrebasse), Eric Dolphy (clarinette basse)