Que ce soit avec Beau Dommage ou au cours de sa très longue carrière individuelle, il y a belle lurette que Michel Rivard a démontré la richesse et la finesse de sa plume, même s’il s’autoproclame Roi de rien sur son plus récent disque.
Par Philippe Rezzonico
En toute justice, il faut au posséder une maîtrise hors du commun pour offrir le spectacle qu’il a présenté en ouverture du 15e festival Montréal en lumière, jeudi, au théâtre Maisonneuve, où cohabitaient chansons d’aujourd’hui, titres légendaires, reprises mythiques et relectures savoureuses, le tout, livré par un Flybin Band des grands soirs.
Outre l’indiscutable qualité de la proposition artistique et scénique (joli décor urbain en arrière-plan), l’un des mérites de cette prestation généreuse de deux heures aura été de nous proposer des chansons dans des enrobages inattendus, et parfois, pas du tout au moment où l’on les attendait.
Cette première est celle de la tournée de l’album Roi de rien. On commence donc avec la chanson-titre comme on l’avait fait avec Confiance, lors de la toute dernière rentrée de Rivard à Montréal, au Spectrum, non? Nenni. Ouverture avec Motel mon repos, rien de moins. Rivard a chanté le premier couplet en mode guitare-voix avec que le reste du Flybin le suivre. Fort intéressante mise en bouche.
Nous allions forcément entendre pas mal de chanson du nouvel opus. Rivard en a groupé plusieurs d’affilée et nous ne nous sommes pas ennuyés une seconde.
Baignés dans la trame urbaine de ces chansons, nous avions l’impression de partager le quotidien d’antan ou celui d’aujourd’hui du grand Michel, que ce soit par l’entremise de l’entrain contagieux de Et on avance ou la mélodie nostalgique de… Mélodie. Petit coup de cœur pour Ma sœur la lune (liée au parc Lafontaine) avec le faisceau de lumière braqué sur Rivard.
Toute la soirée, l’auteur-compositeur et interprète a offert des enchaînements poétiques narrés et bien ciselés durant lesquels il parlait constamment à la deuxième personne (« tu »), comme pour inclure le public dans l’aventure, au lieu d’utiliser le « je » qui peut devenir prétentieux à la longue. Bon choix.
Les mélodies d’antan
On a compris la raison de la présence du vieux micro du côté droit de la scène quand Rivard s’est approché pour évoquer les premières mélodies, celles entendues dans le boudoir de ses parents et issues des 78, 45 ou 33-Tours.
Armé de sa guitare, il a entonné (En veillant) su’l perron, avant d’être rejoint par tous les membres du groupe qui ont servi de choristes pour Only the Lonely (quel voix!) et California Dreamin’ : Dominique Michel, Roy Orbison et The Mamas and the Papas à la sauce Rivard. On croyait voir un groupe de doo-wop au coin d’une rue new-yorkaise…
Rivard a refait le même coup en deuxième partie, cette fois, en fondant Rivière et Je voudrais voir la mer accompagné uniquement de Lana Charbonneau et Audrey-Michel Simard. Exquis. On avait l’impression qu’il était flanqué des Sœurs Boulay.
D’autres surprises? La présence de La complainte du phoque en Alaska au milieu de la première partie et non pas à la fin du spectacle. Cette fois, la tâche revenait à la bien nommée Merci pour tout (excellente). Curieusement, « Le phoque » nous a semblé tellement plus rafraîchissant ainsi, n’ayant pas à porter une fois encore le fardeau de la-chanson-incontournable-de-rappel.
Et encore? Rivard au piano, tiens. Deux fois. La première fois, avant de s’installer pour Une lettre ouverte, il a noté : « Tu n’es pas pianiste, mais il y a des chanteurs d’opéra qui animent des émissions de bouffe, des clowns qui dirigent des gouvernements et des crooks à la tête des villes. Tu peux jouer du piano… » La seconde fois, ce fut au rappel pour une sensible Le retour de Don Quichotte.
Rivard Rock
Si on avait noté que les nouvelles chansons avaient un tonus particulier – Rivard, Rick Haworth et Mario Légaré privilégiant plus souvent qu’à l’habitude des guitares et basses électriques -, on ne s’attendait pas à une déferlante rock. Méfiez-vous du grand amour était presque métamorphosée tant les guitares électriques tonnaient, mais ce n’était rien à côté du Blues de la métropole.
Non seulement était-elle mordante au possible, mais Rivard l’a interprétée avec une puissance frisant la hargne, ce qui a permis au groupe d’arrimer Revolution durant le pont de guitare, avant de boucler la boucle sur Le Blues… Vivifiant et surprenant à souhait. Paul et Ringo auraient sûrement plus apprécié que la version loupée de Yesterday de Katy Perry il y a dix jours à la télé. Mais je m’égare…
À l’inverse, Rivard a offert Ginette tout en douceur (guitare-voix), sur un tempo lent, folk à outrance, les spectateurs chantant les « Ginette! Ginette! » lorsqu’il le fallait. Superbe contre-point.
Et quel plaisir d’entendre Un trou dans les nuages, née dans les années «claviers 1980 », dans une mouture organique au possible. Quand tout ce beau monde s’est regroupé autour du micro pour conclure avec Cœur de vinyle et la trompette d’Haworth, il fallait admettre que ça prend un maître chansonnier pour arriver à un tel résultat. Pardon… Un roi chansonnier.