Chercher noise : le beau gros trouble de domlebo

De la simplicité à la complexité, du disque au cinéma, de la candeur à l’émotion et d’un projet solo à un collectif qui a toutes les allures d’une commune: Dominique Lebeau, alias domlebo, est passé d’un extrême à l’autre du spectre entre Grand naïf et Chercher noise. Et c’est l’amateur de culture qui en ressort gagnant, puisque que l’on a cette fois, un disque, un film et un documentaire tout en un.

Par Philippe Rezzonico

Chercher noise sera présenté mardi soir à la Cinquième salle de la Place des Arts en grande première au Festival international du film sur l’Art. Quand vous aurez vu cette co-production de domlebo et de Yellowtable vous allez réaliser que les limites de la création artistique sont éphémères.

Composer dix nouvelles chansons, c’est la norme minimale pour un artiste qui veut faire un disque de chansons. Greffer des invités à son projet, c’est courant. Filmer le tout, ce n’est pas si rare. Mais regrouper 37 artistes pour enregistrer dix titres dans autant de lieux distincts et capter le tout durant 1500 heures de tournage qui servent à immortaliser le projet dans un documentaire de 90 minutes, c’est presque surréaliste.

Rien de surréaliste toutefois durant le visionnement de Chercher noise. Que du concret. Du réel. Du vécu. Du vrai. De l’authentique. Un auteur-compositeur et interprète (domlebo, allumé et curieux) qui discute, compose et argumente avec un réalisateur talentueux et besogneux (Dany Placard, intense) afin de faire naître dix chansons que l’on attendait pas de la part de l’ex-batteur des Cowboys fringants.

Et une liste de collaborateurs musicaux à n’en plus finir qui comprend Jipé Dalpé, Francis d’Octobre, Jérôme Minière, Pascal Dufour, Jérôme Dupras, Renaud Bastien, Philippe Brault, Jordan Officer, Marie-Soleil Bélanger, Geneviève Toupin, Alexandre Désilets… Ouf!

De l’audio à l’écran

Lebeau nous avait prévenu il y a trois ans que Chercher noise n’allait pas ressembler à Grand naïf – qui portait plutôt bien son nom. Mais à ce point ? A quel moment des chansons laissées en plan pour le premier album sont devenues la matière première pour un film ?

«En août 2010, à la fin de ma tournée, j’avais cinq ou six chansons de prêtes et je devais écrire les autres. Mais je n’avais pas écrit ces chansons pour qu’elles soient dans un film. Je savais juste que je voulais un gros apport visuel. A la fin de l’année, je me disais qu’il y avait plusieurs options : film, webtélé, vignettes… C’est dans cet esprit que j’ai commencé à chercher quelqu’un pour m’épauler.

«Quand j’ai été faire mon « pitch » à Yellowtable (Stéphan Doe, Daniel Robillard), ça devait durer 15 minutes. Ça a duré quatre heures… Ils m’ont dit : « C’est notre film. Tu ne vas rencontrer personne d’autre. » Écoute, ils ont assez filmé pour remplir deux térabytes…»

Bassistes, batteurs, violons, cuivres

Deuxième élément : trouver des collaborateurs. Lebeau avait ses collègues Cédric Dinardo (batterie) et Yannis Triantafyllou (basse) sous la main, mais il voulait avoir au moins un invité par chanson.

«Je me suis dit que j’allais lancer 60 invitations. Si une personne sur dix me rappelait, j’avais le compte. C’est là que Dany m’a fait remarquer qu’on allait avoir un problème si tout le monde rappelait. C’est comme ça qu’on a envoyé une dizaine d’invitations au départ. Puis dix autres. Des noms se sont ajoutés. Et, soudainement…. Tout le monde a répondu en même temps. Là, j’ai dû refuser des artistes parce que j’avais déjà deux bassistes pour telle ou telle chanson.»

C’est ainsi que les enregistrements ont commencé à s’échelonner durant des mois dans des «studios» particuliers : des appartements, une église (celle du Gesu), la Fonderie Darling, un site en pleine nature, etc. Et avec des musiciens qui, pour la plupart, n’avaient jamais joué ensemble.

Pour le fan de musique, ce film est une révélation quant à la manière de créer de façon, car il fallait enregistrer chaque titre environ en quatre heures, ce qui n’a pas été réussi tout le temps.

Si tu es le moindrement familier avec la création musicale, la discussion de domlebo et Jipé Dalpé pour la clé dans L’effet d’une bombe démontre la notion de compromis. On mesure l’expertise quand Michel-Olivier Gasse et Pascal Dufour discutent durant la captation de Au bout d’un trait blanc. Parfois, on ne s’entend pas toujours sur la forme, comme ce fut le cas entre le vétéran pianiste Pierre Jasmin et domlebo pour Que le strict minimum. Tantôt, il faut reprendre plus souvent qu’autrement, l’anglophone Lindy ayant du mal à se mettre en bouche les mots français de La vie comme j’la vois.

Révélateur. Jamais on ne s’emmerde parce que les variantes marquées entre chansons (guitares folk, claviers atmosphériques, piano rond, cuivres chauds), les permutations de musiciens et les sites modifient le regard d’un segment à l’autre. Et les commentaires des artistes démontrent à quel point eux-mêmes sont interpellés.

«Je ne savais pas trop où il voulait en venir en lisant ses courriels, se souvient Chantal Caron (Que le strict minimum). Mais c’est quelque chose de plus mature et de plus recherché.»

Chanteuse en duo pour Le monde est injuste, Marie-Marine Lévesque explique qu’en raison de son « bouleversement amoureux, je trouve ça tellement injuste de chanter ça »… avec un grand sourire.

Libre choix

Un aspect aventureux de l’entreprise, c’est que les artistes approchés avaient le loisir de choisir la chanson qu’ils préféraient et d’y apporter des modifications.

«Il y a des chansons qui sont exactement le contraire de ce que j’avais en tête, mais elles sont meilleures comme ça ! Sur les quais, mon tempo du départ, il était deux fois plus rapide. Des affaires ont été revirées à l’envers, mais les artistes l’ont fait pour servir la chanson.»

Outre le film qui sera présenté deux fois au FIFA, les chansons de Chercher noise sont téléchargeables en échange d’un don servant à financer le long-métrage.

Et c’est peut-être plus lors de l’écoute des chansons sans apport visuel que l’on réalise que la plume de domlebo s’est affinée. Chansons mieux construites, globalement de facture socio-politique, quand ce ne sont pas des chansons d’amour, mais sans porter un drapeau. Le regard de domlebo sur le monde par la musique, quoique vue par la lorgnette du cinéma. Belle réussite.

Chercher noise, le film : mardi, 18h, Cinquième salle de la PdA et jeudi, 20h30, à la Cinémathèque québécoise, dans le cadre du FIFA.

Chercher noise, le disque, disponible à domlebo.ca