Il nous arrive d’être interpellé par une chanson diffusée en sourdine dans un commerce où l’on cherche un kilo de sucre ou du liquide lave-glace. Elle nous rappelle notre jeunesse, une blonde, une brosse, notre mariage ou notre divorce. On l’adore ou on la déteste. Tout le monde vit ça. Daniel Lavoie aussi. Sauf que la chanson en question était l’une des siennes…
Par Philippe Rezzonico
Curieux, dans la vie, comment un événement précis dicte le chemin d’un projet à venir. Sans cet épisode de vie apparemment anodin, le disque J’écoute la radio n’aurait jamais vu le jour, pas plus que le spectacle du même nom qui sera présenté les 14 et 15 mars à la Cinquième salle de la Place des Arts.
«J’étais dans un commerce il y a quelques années. J’étais en train de faire mes courses et j’ai entendu une de mes chansons sortir du plafond, explique Lavoie. Était-ce Ils s’aiment ou Je voudrais voir New York ? Je voudrais voir New York, si je me souviens bien. Je l’écoutais dans le magasin et je ne me reconnaissais plus.»
On dit souvent qu’un disque ou une chanson se veut un cliché du moment présent pour un artiste. Sauf que l’artiste, il évolue, il change, il se transforme, alors que sa chanson immortalisée est figée dans le temps. Et à moins d’avoir été gravée de la façon la plus épurée qui soit (guitare-voix ou piano-voix), elle va être tributaire des arrangements et des enrobages de l’époque à laquelle elle a vu le jour.
«C’est là que m’est venue l’idée de reprendre les chansons de mon répertoire en phase avec ce que je suis aujourd’hui. Je trouvais ça intéressant de faire des relectures dans un contexte d’actualité, parce que les propos des chansons n’ont pas particulièrement vieilli», explique Lavoie.
Revisiter le passé
Donc, acte. Onze relectures et une nouvelle chanson (J’écoute la radio) sont gravées dans des matériaux qui sont parfois très éloignés de ceux d’origine. Guitares acoustiques et baryton, mandoline électrique, violon, cuivres, lapsteel et autres instruments organiques nappent et colorent Les jours de plaine, Tension attention, Qui sait et autres Où la route mène qui ne sont pas loin d’être métamorphosées dans certains cas.
Tension attention, ralentie au plan de la rythmique, semble désormais sortir d’un western. Où la route mène a l’air d’être une toune sudiste de Tom Petty, tandis que cette nouvelle version de La danse du Smatte est concoctée à la sauce Triplettes de Belleville.
«Ça m’a bien servi, note Lavoie. Tension attention, par exemple, devient ainsi une chanson country. Ça m’a permis de mettre à l’avant-plan mon aspect conteur. Mes chansons racontent des histoires avant tout. On a fait plusieurs versions avant de décider de retenir celles qui se trouvent sur le disque. Si on rajoute une section de cordes, il faut que ça serve la chanson.»
Du studio à la scène puis au studio
Pourtant, à l’écoute du disque, on se dit que Lavoie n’en est pas à une première fournée de relectures. Ceux qui suivent la carrière du grand chanteur qui a également brillé dans des productions comme Notre-Dame de Paris se souviendront de l’album Live au Divan vert, où les versions de spectacles de ses classiques prenaient déjà une autre forme.
«Le Divan vert, ça fait quand même 15 ans, note le principal intéressé. Mais je n’aborde pas mes disques studio et mes disques «live» de la même façon. La scène, c’est beaucoup le carrefour des inspirations des musiciens.
« Mes disques studios, eux, doivent être léchés. Il faut qu’ils soient polis, triturés, resablés… On peut peut-être tracer un parallèle, en effet, mais cette fois, c’était plus conscient, cette envie de retravailler des chansons qui ont 15, 20, 30 ou 40 ans »
C’est justement quand on a une carrière qui dure qu’on a le luxe de s’offrir une telle gâterie. Et si Daniel Lavoie a une belle carrière, faut admettre qu’elle a été remplie de haut et de bas. Qu’on pense simplement à la faillite de l’étiquette Trafic au début des années 1990.
«Je suis entêté. J’ai su encaisser les claques. J’ai fait des bons coups et j’ai toujours aimé ce métier. J’ai été assez fou pour m’accrocher.»
Et pour trouver d’autres dérivés à son art, pusique Lavoie vient de faire paraître en novembre dernier un livre nommé Finutilité, un recueil de texte poétiques qui parle de nature, de musique, d’amitié de vie et de mort. Ça valait la peine de s’accrocher. Il y a encore des jours de plénitude à l’horizon.
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Daniel Lavoie, J’écoute la radio. Disponible en magasin ou en ligne.
Daniel Lavoie à la Cinquième salle de la PdA, les 14 (complet) et 15 mars (supplémentaire).