La plupart des personnes qui ont voté pour les lauréats n’ont pas vu les films, mais c’est pas grave. J’anime le gala et j’ai pas vu les films moi non plus…. On ne serait pas surpris d’entendre une blague de ce genre de la part de Yves P. Pelletier, co-animateur de la soirée des Jutra, dimanche, dans la foulée de la controverse qui a secoué l’organisation, mercredi. Rien de tel que l’humour pour désamorcer une situation embarrassante, même si on présume que le RBO a probablement vu tous les films deux fois plutôt qu’une.
Par Philippe Rezzonico
Tel que rapporté par La Presse, les quelque 6000 bulletins de vote envoyés aux professionnels chargés de déterminer les lauréats des prix Jutra portaient la mention : « Il n’est pas nécessaire d’avoir vu tous les films pour voter. » C’est comme si un patron d’une entreprise de presse disait à son journaliste de faire la critique d’un disque sans l’avoir écouté, de commenter un film sans l’avoir vu. Ridicule.
Excuses, défaut de formulation sur les bulletins, pas de modification apportées au changement de votation : les dirigeants de la Fondation Québec cinéma qui gèrent le gala, son président Pierre Even en tête, ont passé la journée de mercredi à corriger le tir mais le mal est fait. Deux ans après avoir modifié le mode de scrutin, on replonge dans la tourmente.
C’est un peu triste pour tous les très bons films en lice cette année. La cuvée 2011 du cinéma québécois a été un grand cru et il est dommage qu’une telle bourde vienne jeter le discrédit sur les résultats, même si nous sommes en droit de penser que la plupart des 6000 membres qui vont voter auront vu les films représentés. Et rien n’empêche un membre de ne pas apposer de X à une catégorie Y s’il estime ne pas avoir vu suffisamment d’œuvres en lice. L’intégrité d’un gala, ça se mesure aussi par le jugement de ses participants.
Cela dit, il ne faut pas jouer non plus à l’autruche. En général, ici comme ailleurs, certains membres votants d’une association spécialisée ne voient pas nécessairement la totalité des œuvres ou des performances sur lesquelles ils portent un jugement.
Aux Oscars, les membres en règle de l’Académie doivent faire la preuve qu’ils ont vu toutes les productions en lice dans la catégorie du film en langue étrangère, mais ce n’est pas vrai pour toutes les catégories, surtout pas celles du meilleur film ou de la meilleure réalisation.
Jack Nicholson a-t-il voté pour The Artist sans avoir vu Hugo? Seul Jack le sait. Sandra Bullock a-t-elle voté pour Meryl Streep (The Iron Lady) sans avoir vu My Week with Marylin parce qu’elle déteste Michelle Williams ? Faudrait poser la question à sa coiffeuse.
Aucun système de votation ne sera imperméable à des lacunes. On comprend la stupeur, la surprise et l’incompréhension des membres votants quand ils ont pris connaissance de la mention sur leur bulletin des Jutra, mais de là à trouver ça « ignoble », comme l’a noté le cinéaste André Forcier (Coteau rouge), jamais à court de mots, il faut peut-être relativiser.
L’an dernier, lors de l’élection fédérale canadienne, des milliers de Québécois charmés par Jack Layton ont voté pour des candidats oranges, parfois, sans jamais avoir vu le visage du futur député de leur circonscription avant d’apposer leur croix sur leur bulletin de vote.
Et on parle ici d’une élection démocratique visant à élire le parlement d’un pays de plus de 30 millions d’habitants, pas d’un vote restreint (6000 membres) touchant un gala qui n’a d’autre but que de souligner l’excellence du cinéma québécois et de nous faire passer une bonne soirée devant le petit ou grand écran.
Bref, Monsieur Forcier, on se calme… Et quand Monsieur Lazhar va remporter le Jutra du meilleur film de l’année dimanche, on applaudira tous ensemble, car il ne l’aura pas volé. Même ceux qui ne l’ont pas encore vu en sont convaincus.
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La soirée des Jutra, Dimanche, 19h30, à la télévision et sur le site web de Radio-Canada