Daran: liberté québécoise

Daran, que l'on voit ici lors des FrancoFolies 2011, nous revient avec son premier disque fait au Québec. Photo d'archives. Courtoisie Pascal Ratthé.

A mi-chemin du très joli recueil de photos, Daran, Aller simple pour Montréal, on voit un cliché de Daran sur lequel est inscrit : « Made in Québec ». On ne pourrait trouver mieux pour résumer l’intention, le désir et le processus de création du plus récent disque du Français désormais installé chez nous en permanence.

Par Philippe Rezzonico

De notre point de vue, on se dit que c’est un peu dingue, finalement, de venir immigrer au Québec. Surtout à Montréal où le temps froid et maussade, des milliers de cônes, des artères bloquées et des infrastructures qui s’effondrent sont notre lot au quotidien. Daran affiche pourtant le même enthousiasme qu’en 2010, quand il avait fait le grand saut de notre côté de la flaque.

Il fallait le voir, mardi soir, lors du lancement de L’homme dont les bras sont des branches (HDBB) à la Sala Rossa : vibrant, enjoué, fraternel et heureux comme pas un de nous présenter ses nouvelles compositions. Ça allait bien au-delà de l’obligatoire événement promotionnel.

D’ailleurs, histoire de faire le pont entre ses racines des deux continents, Daran avait organisé un vins et fromages où se côtoyaient exclusivement des vins français et des fromages québécois. On le répète, nous n’étions pas dans un lancement ordinaire où l’on sert de la mauvaise bière commanditée.

Quant aux chansons, pour certains d’entre nous, « redécouvrir » serait peut-être plus exact que  « présenter », puisqu’il nous avait offert en primeur un tas de titres du disque à venir l’été dernier dans le cadre des FrancoFolies de Montréal.

C’était d’ailleurs un velours de réentendre des compositions qui nous étaient déjà familières à l’oreille et de constater qu’elles avaient pris encore plus de tonus que lors des premiers spectacles. Je sens qu’on ne va pas se lasser d’écouter Kennedy, Sur les quais et Une caresse et une claque.

Carte blanche

«Comme tu le sais, les démos des nouvelles chansons étaient très élaborés quand j’ai traversé pour de bon en 2010, explique le Breton. J’aurais pu les transposer en studio comme ça. Mais quand j’ai rencontré les musiciens fabuleux qui allaient prendre part à ce projet (André Papanicolaou, Marc et Guillaume Chartrain), je leur ai plutôt présenté les démos guitare-voix. Je me disais que si j’avais traversé l’Atlantique, c’était parce que j’étais venu chercher autre chose ici. »

Photo courtoisie.

L’album a donc été fait à l’ancienne. En offrant près de 40 concerts au Québec, les nouveaux titres se sont rodés d’eux-mêmes sur scène avant d’être officiellement gravés, un peu comme le faisait Brel dans les années 1960.

«Faire ça dans l’autre sens (scène avant studio), j’y tenais, assure Daran. Je me suis d’ailleurs efforcé de m’effacer au maximum lors des premières rencontres en studio, histoire de ne pas influencer l’orientation. Avec un tel groupe sous la main, je voulais voir où il pouvait me mener. Je leur ai donné carte blanche pour les arrangements. »

– Peu d’artistes osent faire ça ?

« Je ne pense pas que j’aurais été capable de le faire avant. Je me serais peut-être senti dépossédé. Mais avec le temps et l’expérience, tu comprends que tu ne peux tout faire. Il faut savoir déléguer. Dans la vie, il ne faut pas avoir peur de s’entourer de gens de talent. »

Ceux qui suivent la carrière de Daran depuis qu’il était avec ses Chaises savent bien à quel point sa musique a toujours été tricotée serrée avec les textes qui sont ici signés par Pierre-Yves Lebert, Jérôme Attal, Polo et Miossec.

Laurent Saulnier – qui rédige l’avant propos de Aller simple pour Montréal  – s’interroge quant à savoir si « Le plus Québécois des chanteurs français n’est pas devenu le plus Français des chanteurs québécois ? » Une évidence : Daran se sent plus près du Québec quand vient le temps de composer de la musique.

«Il y a un meilleur niveau musical ici, assure-t-il. En France, il y a toujours eu l’exigence du texte. La France, c’est une terre d’auteurs. Peu importe la musique, le texte est primordial. Mais parfois – souvent même -, la musique, elle n’est que le prétexte.

«Pour qu’une chanson soit réussie, je pense que texte et musique doivent complètement s’imbriquer ensemble. Et pour ça, on est mieux servi ici. Et il y a aussi un état d’esprit. Au Québec, je regarde tout le monde jouer ensemble et dire non à la hiérarchie.»

– Ça ne marche pas comme ça en France ?

« Oh non… (sourire narquois). En France, si tu es au deuxième étage, tu as raison. Mais pas le gars qui est au premier… Ici, si quelqu’un a une proposition qui peut servir le projet en studio, on va l’écouter et on peut la retenir.»

Différences culturelles

Histoire d’étoffer un propos qui pourrait s’avérer explosif, Daran nous livre cette anecdote révélatrice.

«L’autre jour, je cherchais un contrebassiste pour un projet particulier. On me propose quelqu’un, je le contacte et je lui explique de quoi il retourne. Après quelques instants, il me dit : « Pour ce projet, c’est de tel musicien que tu as besoin ». Et il me donne les coordonnées pour le joindre.

«En France, jamais au grand jamais tu ne vas voir ça. Le musicien, il va garder le contrat pour lui. Il va travailler plus fort, peut-être demander de l’aide ou travailler toute la nuit pour y arriver, mais jamais il ne va refiler du boulot à un autre… »

Visiblement, Daran ne regrette pas une seconde de s’être expatrié. Même ses amis musiciens d’ici en sont convaincus, comme Yann Perreau dont une citation figure au verso de Aller Simple pour Montréal.

«Daran est comme un poisson dans l’eau ici. Il est clair qu’il n’a aucun doute ou regret. Ça se sent. A tel point qu’il se dit qu’il aurait dû faire cela avant…»

Mieux vaut tard que jamais.