FIJM 2014, l’album du jour (4): rencontre au crépuscule

Baptiste Trotignon a croisé la route de Mark Turner à quelques reprises. Les deux hommes – que l’on pourra voir à l’oeuvre à L’Astral, dimanche – se sont assez plu pour se lancer dans la difficile aventure du duo. Une rencontre placée sous le signe de l’introspection.

Par François Vézina

L’ambiance est parfois un peu austère, les deux hommes étant particulièrement attentifs à trouver le climat idéal qui leur permettra de jouer avec confiance.

Dès Bolero, le ton est donné: un fort joli thème, bien exposé par Turner, une ligne de piano ensorcelante, des échanges vifs, une belle intensité.

Le Français est particulièrement à l’aise. Brillant compositeur, formidable musicien, il peut compter sur une main gauche aussi cajoleuse qu’envoûtante et une main droite aventureuse. Sa brillante conclusion donne de l’éclat à un terne Left Hand of Darkness et permet de lancer magnifiquement Only One.

L’ami américain semble plus chercher ses marques. Son jeu est plus inégal. Il semble si captivé par le jeu de son collègue que celui-ci, comme un comédien venant délivrer un partenaire d’un trou de mémoire, doit le secouer un peu pour le sortir de sa torpeur (Wasteland). Heureusement, Turner parvient à quitter sa bulle et à retrouver son aplomb aux moments opportuns.

Et voici que le saxophoniste intervient à son tour pour aider, à l’aide de quelques notes seulement, son partenaire à garder le cap (Sonnet for Stevie).

Mark Turner et Baptiste Trotignon. Photo courtoisie FIJM/Thomas Dorn

Les deux hommes se partagent les thèmes. Seule exception: une lecture de deux pièces de… Jean-Sébastien Bach (You Gott Will Ich Nicht Lassen/Winter Solstice/Herliebster Jesu Was Hast Du Verbrochen).

Choix étonnant à première vue, mais pas tant que ça si on connaît les relations entre l’Allemand et l’improvisation. Le compositeur baroque est traité avec le respect dû à son rang, comme un aïeul à qui deux scouts aident à traverser une rue. Fort heureusement pour nous, Trotignon et Turner savent aussi sortir des clous pour surprendre l’auditeur.

La confiance est grande entre les deux hommes. Leur jeu lisse et fluide se complète à merveille. Chassés-croisés, thèmes exposés à l’unisson, motifs envoûtants, échanges de rôles, sens brillant des variations, les deux compères savent s’y prendre pour garder l’intérêt de l’auditeur.

Les climats sont souvent contemplatifs, mais le duo joue avec une grande intensité, sachant occuper les grands espaces sans avoir à recourir à une vaine logorrhée.

O Do Borogodo conclut magnifiquement cet album. Certes, Trotignon et Turner n’atteignent pas les mêmes sommets que Mal Waldron et Steve Lacy, ultime référence en la matière, mais ils n’ont pas à rougir de leur collaboration. Loin de là.

——————–

Album du jour : Baptiste Trotignon/Mark Turner; Dusk is a Quiet Place

Étiquette: Naïve

Enregistrement: 12 avril 2011

Durée: 48:49

Musiciens: Baptiste Trotignon (piano), Mark Turner (saxophone ténor)

FIJM : Baptiste Trotignon et Mark Tuner à l’Astral, le dimanche 29 juin à 21 heures.