Les Montréalais, bourgeois, citadins et banlieusards étaient conviés – moyennant espèces sonnantes ou accès gratuit – aux résidences secondaires du couple Krall-Costello, dimanche, soir, au Festival international de jazz de Montréal.
Je n’arrive pas à me souvenir si la métropole québécoise n’a jamais accueilli un couple d’artistes mari-femme pour deux spectacles distincts le même soir. C’est dire à quel point nous avions encerclé la date sur le calendrier…
Contrairement à un certain décorum établi dans les années 1950 et 1960 en Amérique, ce n’est pas Madame, mais bien Monsieur qui attendait les convives pour l’apéro à la Maison symphonique, dès 19h00. En fait, Elvis Costello est monté sur scène à 19h02, alors que je grimpais les marches de la nouvelle salle. Il ne fallait pas être en retard.
Dans cette enceinte, les guitares acoustiques de Costello étaient plus tranchantes que jamais. Il faut dire qu’Elvis, le deuxième du nom, a cette habitude de jouer de la six cordes comme si sa vie en dépendait, même dans un contexte intimiste. Ça sert parfaitement Jack of All Parades et 45 (excellentes), mais Veronica m’a semblé expédiée.
Elvis sait néanmoins ralentir le tempo avec les Either Side of the Same Town ou le doublé fusionné de New Amsterdam/You’ve Got to Hide Your Love Away, des Beatles. Les Beatles joués par Elvis, ça émeut toujours.
Formidable conteur, Elvis nous parle du moment surréaliste où David Letterman l’a appelé pour qu’il remplace Lana Del Rey, indisposée (« vous pensez à moi en même temps que Lana Del Rey? »), de sa jeunesse à Blackpool (« imaginez Las Vegas sans le soleil ») et de ses ancêtres à qui il rend hommage avec Jimmy Standing in the Rain. Très fort.
Contrairement à mes collègues, je n’avais pas de « setlist », mais j’avais noté ceux des derniers soirs et il me semblait qu’Elvis sautait pas mal de titres. Nous savions tous que Costello avait livré des spectacles de deux heures et quart et plus dans toutes les villes précédant l’escale montréalaise.
Là, il s’est rendu de peine et de misère à 90 minutes (20h32). Il n’a certes pas été chiche pour les succès. Veronica, donc, mais aussi Every Day I Wrote the Book, Watching the Detectives à la guitare électrique (boum!), Alison et (What So Funny About) Peace Love and Understanding. Et aussi une version splendide de Ghost Train.
En définitive, l’apéro de Monsieur était quand même bien tassé. Mais il a oublié les bouchées dans le frigo.
La souper de Diana
Cet exercice écourté nous a permis d’aller manger un morceau avant de se rendre sur la Place des festivals, inondée de monde.
En 2004, quand Diana Krall a souligné le 25e anniversaire du FIJM avec un concert au Centre Bell, elle avait surpris avec une prestation jazz qui n’était pas loin d’en être une destinée aux puristes face à un public qui venait voir surtout la chanteuse pop découverte mondialement avec The Look of Love.
Cette fois, nous savions qu’il s’agissait du dernier spectacle de la tournée de l’album Glad Rag Doll qui nous plonge dans une musicalité et une théâtralité d’antan.
C’est l’aspect visuel qui nous a sautés aux yeux d’emblée avec les projections mettant en vedette l’acteur Steve Buscemi planté dans un décor qui rappelait les ambiances feutrées d’un autre âge. Ouverture sur When the Curtain Comes Down, quand Krall synchonise sa voix sur les images de Buscemi, encadré des immenses rideaux rouges, réels et virtuels.
Le ton est donné et on mesure la qualité des musiciens de Krall auxquels s’est joint le guitariste louisianais Marc Ribot avec There Ain’t No Sweet Man That’s Worth The Salt of My Tears. La pianiste se sert tant de son piano que de son clavier électrique placé à côté de son tabouret durant cette interprétation.
Comme son conjoint, Krall sait parfaitement mettre la foule dans le coup avec des échanges bien mesurés. La Canadienne évoque la pluie qu’elle adore (originaire de la Colombie-Britannique) avant de chanter Just Like a Butterfly Caught in the Rain, nappée du violon de Stuart Duncan.
Elle nous précise qu’il faut profiter de l’une de ses rares chansons de mariage, car elle a essentiellement des chansons de « divorce et de souffrances », avant de se lancer dans une pimpante You Know, I Know Ev’rything’s Made for Love durant laquelle on voit défiler des images du séducteur qu’était Groucho Marx.
En bonne hôtesse, Krall sait aussi qu’il faut varier le menu. La relecture colorée de Temptation, de Tom Waits, parée des solos incendiaires de Ribot et de Duncan a électrifié l’atmosphère.
Krall se permet aussi d’enchaîner sur un vieux piano A Man Needs A Maid (avec des paroles modifiées) et Heart of Gold, de Neil Young, avant de poursuivre avec I’m Gonna Sit Right Down and Write Myself a Letter, de Fats Waller.
« Fats Waller après Neil Young. C’est pas mal, non? »
Bob, Louis, Fats
Autres sauts dignes d’un coq à l’âne : une Simple Twist of Fate, de Dylan, avec une Sunny Side of the Street, popularisée par Louis Armstrong. Chansons originales, reprises, relectures: tout ce que proposait Krall semblait couler de source. Le repas était drôlement bien équilibré.
Après avoir bouclé ses 90 minutes avec une frétillante I’m a Little Mixed Up, Krall et ses musiciens sont revenus avec Elvis pour un trio de chansons. Au lieu de piger dans l’un ou l’autre de leurs catalogues respectifs, le couple a décidé d’offrir deux titres de The Band (Ophelia, Whispering Pines) avant de conclure avec une mordante version – sauf erreur – de Subterranean Homesick Blues, de Dylan.
Des choix un peu étonnants, certes, mais il fallait probablement avoir un certain consensus dans la famille. Cela dit, contrairement à l’apéro écourté de Monsieur, on aura savouré le somptueux repas de Madame jusqu’à la dernière bouchée.