FIJM 2014, l’album du jour (5): le goût du risque

Ambrose Akinmusire est un musicien audacieux qui aime bien défricher de nouvelles terres. Son dernier opus est une brillante réussite au ton résolument contemporain.

Par François Vézina

Que le trompettiste aime fréquenter de nouveaux sentiers, on le savait depuis son concert au Gesù au FIJM de 2012. Son quintette et lui avaient alors interprété un répertoire composé presque exclusivement de pièces inédites, refusant de se reposer sur les lauriers récoltés après la parution, l’année précédente, de l’excellent When the Heart Emerges Glistening.

Gonflé le mec!

Deux ans plus tard, Akinmusire n’a pas perdu ce goût du risque. Le musicien ne perd pas son temps pour indiquer ses couleurs. Marie Christie, belle entrée en matière du quintette, il y a deux ans, fait l’objet d’un duo trompette-piano peu usité. Akimusire et Sam Harris se rient de la difficulté. Le second mise sur sa grande inventivité – quelques notes aiguës jouées comme une ligne de basse – pour donner un tonus aux acrobaties de son patron.

L’ambiance de l’album est généralement feutrée. Les arrangements, un piano enveloppant et les motifs rythmiques peu conventionnels épousent magnifiquement le jeu aérien du leader. La cohésion entre des musiciens partageant l’envie de prendre des risques favorisent les échanges féconds.

Blue Note a confié la production de l’album au jeune musicien (le précédent avait été réalisé par Jason Moran). Ce dernier se sent assez en confiance pour se livrer à quelques expériences intéressantes.

Le guitariste Charles Altura s’est ajouté à la formation, une greffe fort bien réussie. Son sens du placement et des solos précieux densifient le jeu du groupe, lui donnant du relief. L’intrigante exposition de la ligne mélodique de As We Fight, par un trio guitare-trompette-saxophone, nous laisse entrevoir de nouveaux horizons.

Walter Smith est moins souvent sollicité mais il répond fort bien à l’appel par d’excellents solos percutants où l’influence de Steve Coleman se fait moins insistante.

Akinmusire a aussi invité trois interprètes. Becca Stevens n’est pas sans évoquer la Cassandra Wilson de Blue Light Til Dawn (Our Basement); Theo Bleckman angélise Asiam tandis que Cold Specks jette l’ancre pour un Ceaseless Inexhaustible Child presque gospélien.

L’emploi judicieux d’un quatuor à cordes donne du panache à Our Basement et à The Beauty of Dissolving Portraits, en en soulignant le caractère dramatique sans les surdoser d’un sentimentalisme d’un mauvais goût.

Bel exploit!

L’artiste sait aussi se montrer provocateur lorsqu’il fait lire par un enfant une liste de noms de jeunes tués par la police ou leurs sbires aux États-Unis. Le nom de Trevon Martin revient souvent dans la nomenclature récitée sous des nappes de claviers divers.

Ambrose Akinmusire était jusqu’à maintenant considéré comme un artiste de la relève. Il a grandement dépassé ce stade. Il faudra compter sur lui à l’avenir.

Voilà qui promet pour ses concerts au FIJM dans la série Invitation.

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Ambrose Akinmusire: The Imagined Savior Is Far Easier to Paint

Étiquette: Blue Note

Durée: 78:38

Musiciens: Ambrose Akinmusire (trompette, claviers), Sam Harris (piano, melotron), Walter Smith (sax ténor), Justin Brown (batteur), Harish Raghavan (contrebasse), Charles Altura (guitare), Cold Specks (voix), Theo Blackman (voix), Becca Stevens (voix), Elena Penderhughes (flûte) + quatuor à cordes

FIJM: Ambrose Akinmusire Quintet le lundi 30 juin à 18 h au Gesù et seul avec le pianiste Tigran le lendemain à la même heure.