Charles Lloyd. Le nom ne vient pas d’emblée en mémoire quand on énumère sans réfléchir les grands saxophonistes de l’histoire du jazz, Charlie Parker, Ornette Coleman, John Coltrane, Dexter Gordon, Wayne Shorter et consorts le devançant sans peine. Et pourtant…
Par Philippe Rezzonico
Et pourtant, Lloyd a offert un bijou de prestation, vendredi soir, au théâtre Jean-Duceppe, lors du premier de ses trois spectacles prévus dans la série Invitation du FIJM. Une prestation qui démontre que le musicien de 75 ans méritait amplement de recevoir le prix Miles-Davis.
Tout sourire il était, le grand Charles, quand André Ménard est venu rappeler qu’il l’avait vu pour une première fois à Montréal en 1975 avec un jeune pianiste nommé…. Keith Jarrett. Homme de peu de mots sur scène, Lloyd a simplement dit « merci beaucoup » avant de s’installer avec les membres de son quartette, Jason Moran (piano), Reuben Rogers (contrebasse) et Eric Harland (batterie). Et durant plus d’une heure et demie, la magie a opéré…
Qu’il joue de l’un ou l’autre de ses saxophones ou même de la flûte traversière, Lloyd a une palette de couleurs remarquable. Il peut ravir avec des progressions de notes pas trop brusques qui nous enveloppent dans un jazz aérien, voire contemplatif.
Mais il peut être également fougueux comme un jeune loup avec des montées abruptes caractérisées par une gestuelle qui ne ment pas. Il fallait voir le musicien danser avec son instrument par moments, surtout quand son trio lui cédait tout le plancher, ce qui est arrivé très souvent. Quand laissait le trio à lui-même, Lloyd marchait derrière ses musiciens en roulant les épaules comme un boxeur qui s’apprêtait à retourner dans le ring.
Vif, alerte et doté d’un souffle étonnant pour son âge, le saxophoniste peut varier ses attaques, ralentir le tempo, et se mettre immédiatement au service de la mélodie. Nous avons eu droit à des finales d’une beauté pure, celle de Somewhere, au rappel, étant peut-être la plus belle de toutes. Rien de moins que de la poésie musicale.
Lloyd est de retour au théâtre Jean-Duceppe ce soir avec le projet Sangam (avec Zahir Hussain et Eric Harland) et dimanche avec Jason Moran et Bill Frisell.
Fringante Holly
Au TNM, Holly Cole présentait le deuxième de ses trois spectacles. Celui de vendredi était son 25e depuis ses débuts au FIJM en 1987. Beau moment pour lui remettre le prix Ella-Fitzgerald. La chanteuse était visiblement émue.
Holly Cole a une voix avec un timbre bien caractéristique qui lui a permis de s’accaparer des compositions de Tom Waits, Elvis Costello ou Joni Mitchell avec aisance. Ce n’est pas différent pour les titres de son plus récent Night.
Avec sa tenue vestimentaire – robe yé-yé, bottes blanches – digne d’une Nancy Sinatra période 1968, Cole passe d’un style musical à l’autre quand elle interprète Charade (swing jazz), Good Time Charlie’s Got the Blues (blues) ou I Only Have Eyes For You (excellente), popularisée par The Flamingos en 1959.
Après toutes ses années, Cole a conservé son côté espiègle qui donne l’impression qu’elle est encore une adolescente qui chante pour les grands. Rafraîchissant.
Cela dit, sa voix affiche ses limites, ici et là, et tous les classiques réarrangés ne collent pas à son style passe-partout. Quand j’ai quitté au début de la deuxième partie, Cole venait de livrer une Ain’t That A Kick In the Head tellement ratée (mauvais arrangements, clé vocale discutable) que Dean Martin a dû se retourner dans sa tombe. Un rare faux pas d’un spectacle assumé et goûteux qui va encore ravir ses fans samedi soir.
Le roc Coltrane
Si Ravi Coltrane ne se destinait pas à être un saxophoniste comme son père John, force est d’admettre que cela fait un certain temps déjà qu’il s’est fait un prénom et qu’il est maintenant parmi l’élite de sa profession. Il nous le rappelle à chaque escale à Montréal, celle de vendredi s’arrêtant au théâtre Jean-Duceppe.
Musicien en quête constante d’improvisation, Coltrane s’est pointé en ville avec un quartette un peu atypique, à savoir, sans pianiste. Ses complices étaient Adam Rogers (guitare), Jonathan Blake (batterie) et Desron Douglas (contrebasse).
J’ai retrouvé le même Ravi qui s’escrime à rompre avec ses thèmes au profit de l’improvisation, quitte à relancer ses montées épiques six fois plutôt qu’une. Le Coltrane expressif, au point que tout son corps s’emballe au hasard des progressions et des ruptures.
Avec lui, son trio offre un soutien rythmique constant et solide, à défaut d’engager des conversations multiples. Chacun ses goûts, mais la guitare ne me semble pas l’instrument idéal pour relancer un discours musical avec un saxophone. Sur ce plan, le piano me semble nettement plus indiqué. Choix bien personnel, il est vrai.
Et si Rogers était dans une forme splendide, cet aspect esthétique a amoindri une partie de mon plaisir. Coltrane n’a pas démérité une seconde et il y avait une quête d’aventure musicale plus évidente qu’au Gesù en 2006, quoique le résultat m’avait paru plus achevé à cette époque.
Peut-être, aussi, aurais-je dû rester plus longtemps qu’une cinquantaine de minutes. Mais bon, en festival, il faut faire des choix et comme Feist était programmée exactement à la même heure que Coltrane…
La bruine sur Feist
Je ne pensais voir que la moitié de la prestation de la Canadienne, mais cette dernière a amorcé son spectacle avec 20 bonnes minutes de retard. Elle était d’ailleurs en retard d’une demi-heure au point de presse en après-midi. Tendance lourde, il faut croire.
Bref, je suis arrivé au moment où il régnait un spleen qui allait de pair avec la bruine. Ambiance qui s’est poursuivie un long moment, avant que quelques titres musclés – et connus – du grand public ne relancent l’intérêt.
Disons poliment que Feist n’a pas aidé sa cause. Le retard, certes, mais aussi cette idée de se présenter en formule trio après avoir trimbalé la tournée de son disque Metals avec un band de sept musiciens durant un an et demi.
Peut-être que les gens qui voyaient Feist – ou cette tournée – pour une première fois ont apprécié, mais quiconque ayant déjà vu la virée (deux fois dans mon cas, en salle et à l’extérieur) est resté sur sa faim. Sauf, bien sûr, une partie des fans de la dame qui étaient massés à l’avant-scène. À un moment, le trio ne pouvait suppléer à un groupe entier.

Feist: un retard, de la bruine, une sélection de ballades, pas trop de succès... Bref, pas des conditions gagnantes. Photo Victor Diaz-Lamich/Courtoisie FIJM
De plus, comme elle l’avait noté en point de presse, la Canadienne n’a rien modifié pour l’occasion : comprendre, elle a livré le même spectacle qu’elle aurait offert face à un public gagné d’avance présenté à un festival ciblé indie rock/alternatif comme Osheaga.
Une erreur, selon moi, quand on joue devant un public qui ne connait que deux trois de tes chansons phares. Et quand tu fais impasse sur ton plus gros succès – par ailleurs, inscrit sur la sélection remise aux médias -, ce n’est pas très rassembleur.
Au final, le coup d’envoi en extérieur du FIJM 2013 n’avait pas l’éclat et le panache de celui de Rufus Wainwright, ni la fougue explosive de celui du big band de Brian Setzer. On se reprendra à mi-chemin avec Wax Taylor (2 juillet) et en clôture avec Amadou & Mariam (7 juillet)…