Il y a plus de 20 ans, Cassandra Wilson jeta dans la mare du jazz une drôle de pierre nommée Blue Light ’Til Dawn, qui au lieu de faire des ronds dans l’eau, se mit à former des parallélogrammes.
Par François Vézina
La grande chanteuse a choisi de revisiter cet album étonnant à l’occasion du FIJM, jeudi soir. Voici, pour nous aussi, l’occasion d’un retour en arrière.
Cassandra Wilson, qui était alors surtout connu pour ses liens avec le M-Base (*), surprit bien des gens lors de la parution de son premier album chez la prestigieuse maison Blue Note.
Déjà, le répertoire choisi, mêlant standards, blues et pop était inattendu. Au programme: compositions de Raye-DePaul, de Cyro Baptista, de Robert Johnson, de Van Morrison, de Joni Mitchell et de la chanteuse elle-même.
Deuxième surprise: l’absence d’un pianiste tout au long de l’album.
Autre étonnement: les arrangements dépouillés, où dominent guitares et percussions, enveloppent crûment la voix sobre de Cassandra Wilson, la mettant presque à nu.
Les racines
Mine de rien, malgré un son très moderne, elle renoue avec ce sud états-unien profond et cette terre d’Afrique, sources de la grande musique noire, de Louis Armstrong à Jason Moran. Les reprises de Johnson (Come on in My Kitchen, Hellhound on My Trail), notamment, semblent annoncer des orages à venir.
Le jeu en pointillé du guitariste Brandon Ross – qui signe de nombreux arrangements – bichonnent You Don’t What Love Is et Children of the Night.
Et parfois, un soliste s’incruste, pertinent comme le détail animant la toile d’un maître, à l’exemple d’un Olu Dara (Hellbound on My Trail) ou d’un Don Byron (Black Crow).
Seule exception sans doute: la pièce-titre, une composition de la chanteuse, qui se rapproche le plus d’une chanson conventionnelle.
La voix de la chanteuse est magnifiée par une très belle réalisation signée Craig Street et Danny Kopelson. Cassandra Wilson domine son instrument, faisant preuve d’une belle sobriété et d’une grande maîtrise de soi.
De l’espace
Il pourrait être si enivrant de se jeter dans ce dépouillement pour remplir les espaces d’effets vocaux discutables. L’artiste ne cède pas à la tentation, permettant du même coup, à ses chansons de bien respirer. Elle se fait même économe sur Sankofa, une pièce a capella au cours de laquelle Wilson utilise la technique du réenregistrement pour se multiplier.
Vingt ans après, Blue Light ‘Till Dawn a su résister aux pièges du temps. Magnifique à sa parution, magnifique en 2014. Il n’a pris aucune ride. Contrairement à ce que chantait Léo Ferré, on ne prend pas le bonheur toujours en retard.
(*) Ce mouvement de musiciens autour de Steve Coleman, Greg Osby et Geri Allen, empêcha le jazz de se fossiliser dans les années 1980.
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L’Album du jour: Cassandra Wilson, Blue Light ‘Till Dawn
Étiquette: Blue Note
Parution: Novembre 1993
Durée: 56:13
Musiciens: Cassandra Wilson (voix), Brandon Ross (guitare), Charlie Burnham (violon), Kenny Davis (contrebasse), Tony Cedras (accordéon), Olu Dara (cornet), Don Byron (clarinette), Vinx (percussion, voix), Kevin Johnson (percussion), Lance Carter (percussion), Bill McClellan (percussion), Bill Hayes (percussion), Cyro Baptista (percussion), Gib Wharton (guitare), Lonnie Plaxico (contrebasse), Chris Whitley (guitare)
FIJM: Cassandra Wilson, au théâtre Maisonneuve, le jeudi 26 juin. Première partie: Andreas Varady.