La même silhouette, toute de noire vêtue. Le même sourire, toujours éclatant. Le même humour qui se fait sentir dès qu’elle s’enfonce dans le grand fauteuil aux côtés de l’animatrice Monique Giroux : « On bascule dans le plaisir ! »
Par Philippe Rezzonico
Juliette Gréco ne change pas. Personne ne le souhaite d’ailleurs. Si l’interprète à l’immense talent n’a plus besoin de présentation depuis longtemps, la femme est peut-être devenue encore plus fascinante après 65 ans de métier.
Il y a quelque chose d’indéfinissable qui émane encore et toujours de celle qui a chanté tous les grands auteurs de la chanson française. Qui plus est, qui les a connus, au point que nombre d’encore eux lui ont offert des chansons ou en ont composé pour elle.
Et c’est peut-être la raison pour laquelle le spectacle qu’elle présentera dimanche soir à la Maison symphonique lors des FrancoFolies (ainsi qu’à Sherbrooke, Tadoussac et Toronto par la suite) est tout aussi significatif que symbolique.
Tournée d’adieu, comme c’est écrit sur l’affiche? Non. « Tournée de remerciements », assure-t-elle. Et les adieux sont uniquement pour les planches. Pas pour le studio et la chanson.
« Ah si! J’enregistrerai sûrement, dit-elle. Parce que je ne peux pas résister. Je vais continuer de chercher des auteurs et des compositeurs, comme je l’ai fait toute ma vie. On ne peut pas mourir avant de mourir, quoi. C’est stupide! Donc, je continuerai d’enregistrer. »
La relève?
Malheureusement, il n’est pas dit que les générations d’aujourd’hui honoreront et célèbreront les classiques d’antan comme elle a su si bien le faire. Peut-être parce que la Jolie môme de Ferré, c’est elle. Que Gainsbourg a écrit La javanaise pour elle. Qu’elle a elle-même choisi d’interpréter Ça va (le diable), proposée par Brel. Bref, l’interprète a un lien que les jeunes d’aujourd’hui ne peuvent avoir avec les chansons d’une certaine période bohème.
« Je ne sais pas », dit-elle, quand on lui demande si certains classiques pourraient tomber un peu plus dans l’oubli, maintenant qu’elle ne les défendra plus sur scène.
« Il y a plein de gens qui chantent et qui chantent vachement bien. Moi, je défends ce que je défends. J’aime la poésie, les compositeurs, les musiciens… avec une préférence pour ceux qui ont du talent (beau sourire). Je ne sais pas pourquoi les gens ne chantent pas ce que je chante. J’aurai bien aimé, mais ce n’est pas le cas. »
Cela fait des années qu’elle se torture quand vient le temps de sélectionner les titres pour un tour de chant. Il y en a trop et elle les aime tous d’amour absolu.
« On fait avec son cœur, avec sa passion. C’est très difficile et très compliqué. Je suis attachée… Je n’ai jamais chanté une chanson sans l’aimer. J’ai chanté des chansons par affinité, par amour… C’est très compliqué de se séparer d’un amour. C’est très cruel. De même que partir est cruel. »
Et elle n’a pas vraiment de préférée parmi les monuments de son répertoire.
« Chacune à son histoire et il a un rapport particulier avec moi. Peut-être… Plus j’avance, ce serait J’arrive… Normal. J’ai chanté la mort toute ma vie. J’arrive, c’est la mort, mais la mort, ça fait partie de la vie. »
Juliette Gréco aura su s’imposer dans un univers chansonnier où les hommes dominaient, contrairement à ce que l’on voit de nos jours.
« Nous (les femmes), on s’est pas mal battues. On a réussi à exister. Les garçons sont peut-être moins surprenants que les filles, tout à coup. Ça a toujours été le règne des hommes, la chanson. »
Ironiquement, c’est un homme, et pas le moindre, Jean-Paul Sartre, qui l’a poussé – presque littéralement – sur scène à l’aube des années 1950.
« Ah! C’était un ordre! « Gréco : chantez ! » Et j’ai dit non, comme d’habitude. Et il m’a dit : « Si, si. Vous allez chanter » Et dix jours après, je montais sur scène. »
Et Gréco a commencé à défendre sur scène… les mots des hommes.
« Alors ! (elle se redresse dans le fauteuil, mains jointes sur les genoux). Les mots des hommes correspondaient mieux à mon idée des choses », note celle qui s’est toujours sentie à l’aise avec les mots de Brel qui sera, n’en doutez pas, celui qui aura le droit au plus grand nombre d’interprétations à la Maison symphonique.
Celle qui décrit le Québec comme « un pays civilisé » estime que les temps sont durs pour la jeunesse. Que « la jeunesse a été pris en otage par l’argent. Ils ont les mêmes baskets (espadrilles), les mêmes blousons, les mêmes casquettes… » Trop d’uniformité. Et cette jeunesse n’a pas « l’insolence que nous avions ».
C’est pour cette raison qu’elle leur dit : « apprenez à dire non, apprenez à refuser, apprenez à être vous-mêmes. »
Fascinante, disais-je. Encore et toujours.