Après avoir été soudé à la rue Sainte-Catherine durant plus de cinq heures jeudi soir pour l’excellent spectacle d’ouverture des 25e FrancoFolies avec Ariane Moffatt, Marie-Pierre Arthur, La Grande Sophie et Fanny Bloom, le lendemain de veille allait être tout autre. C’est vendredi, donc, vagabondons.
Par Philippe Rezzonico
En salle ou au grand air, les Francos sont toujours l’occasion de voir des artistes jamais vus. Pas d’hésitation, on se dirige donc vers le Club Soda pour apprécier en chair et en voix la révoltée Keny Arkana.
En ouverture, nous sommes accueillis par Souldia, membre de Facekché 187. Lui et ses collègues nous balancent l’essentiel du disque Les origines du mal, paru l’an dernier. Le rap de Souldia, c’est un rap de rue engagé, noir et violent sur les bords, avec les livraisons de Fable de rue, Complicité de meurtre, Rêve ou cauchemar et Homicid.
Un flow très correct, efficace, mais qui affiche rapidement ses limites. Quand on a connu Public Enemy, Dubmatique et Loco Locass, force est d’admettre que Souldia ne revolutionne pas le genre, mais demeure pertinent.
Ke-ny! Ke-ny! Ke-ny!
Rien à voir avec Keny Arkana, dont la foule scandait le nom avant même qu’elle mette le pied sur scène. Elvis, les Beatles, Michael Jackson ou Joël Legendre n’auraient pas eu droit à un meilleur accueil.
L’ouragan Keny a mis le feu au Soda en claquant des doigts. La rappeuse française n’est pas que l’un des porte-étendards les plus en vue d’un renouveau du rap de Marseille, elle est aussi une conscience sociale et une révolutionnaire sur pattes.
Rap social (Le syndrome de l’exclu), rap du quotidien (Gens pressés), rap universel (Jeunesse du monde) et, surtout, rap dénonciateur (Indignados) : la jeune Française qui prône la désobéissance civile tire sur tout ce qui bouge avec une fougue et une ferveur palpables devant sa « famille ».
Une foule poing en l’air pour Jeunesse du monde, quand on scande « résistance! », Arkana qui dit « On est ensemble| » en pointant le carré rouge accroché sur sa poitrine (le toit du Soda a failli s’envoler) et les cris de ralliement « Anti! Anti! Anti-capitaliste! » et « Anti! Anti! Anti-fasciste! » hurlés par des centaines de personnes.
Si Arkana serait venue aux Francos en 2012 sur une scène extérieure durant le printemps érable, nous aurions eu droit à une bonne émeute ou à une guerre civile d’un soir.
Mais là, ce fut essentiellement un spectacle brûlot duquel aucune photo officielle n’a pu être prise, ni par les photographes des quotidiens montréalais, ni par ceux des FrancoFolies, because : les photos devaient être approuvés par le management.
Il faudra expliquer à Keny et à sa gérance que pour briser les chaînes du capitalisme et mondialiser la rébellion dont elle se targue, il ne faut pas se comporter comme une PME d’affaires qui contrôle l’information.
Dumas rame
Nous en avons pris une quarantaine de minutes avant de nous diriger vers la place des Festival pour voir Dumas, qui comme Ariane Moffatt et Fanny Bloom, profitait des Francos pour tirer sa révérence avant une pause.
Nous sommes tellement habitués à voir Dumas livrer des prestations endiablées, que les 30 premières minutes nous ont laissées sur notre faim. La voix de Dumas n’était pas à son mieux, pas plus que le son en général, qui était fade et plat. Et ce, sans compter les problèmes de micro.
Dumas et ses collègues en ont ramé un coup. Même l’arrivée d’une Fanny Bloom pour l’interprétation de Tueur psychotique (Psycho Killer, des Talking Heads) n’a guère fait décoller le spectacle. Quant à Miss Ecstasy, si elle a permis la participation de la foule, je me souviens d’une demi-douzaine de shows de Dumas où elle fut bien plus percutante.
Et puis, soudainement, la cavalcade de Au gré des saisons, la ballade de fin du monde qu’est Le fleuve gelé, ainsi que Venus, ont été parfaites, comme si tous les morceaux (son, chant, visuel sur les écrans géants) étaient enfin emboîtés comme il le faut.
L’arrivée des « Rolling Stones de Drummondville » (les Trois Accords) a dynamisé la soirée. Il fallait voir les sourires entre Dumas, ses musiciens et la bande à Simon Proulx. Les livraisons partagées de Bamboula et Les amoureux qui s’aiment ont été vivifiantes à souhait.
Dumas, désormais à son mieux, a terminé à fond la caisse avec Alors Alors, Le Bonheur, Linoléum (dédiée à ses fans qui le suivent depuis une décennie) et Passer à l’Ouest. Un dernier 45 minutes vraiment délectable.
Rock lourd
Mmm.. Vingt-deux heures quarante-cinq. On va se coucher (seulement trois heures et demie de sommeil la veille)? Non. De toute façon, extirper la bagnole du parking et dégager du centre-ville congestionné en permanence serait impossible.
Donc, dix minutes de marche vers Les Katacombes où nous attendent Mardi Noir et Possession Simple, au grand complet.
Les boys en noir de la région d’Alma ont nettoyé nos tympans durant près d’une heure avec un rock dissonant reposant sur quatre couches de guitares. Si cette frappe brute plait un moment, le groupe est plus nuancé – mais pas moins rentre-dedans – quand le trio de choristes invités vient les rejoindre sur la petite scène.
Il ne restait donc qu’à Possession Simple à se reformer, quelque deux décennies après ses premières participations aux FrancoFolies. Pas uniquement pour quelques chansons, comme ce fut le cas pour le spectacle hommage à Eric Goulet aux Francos de 2006. Non, non… Tout le band : Goulet, Nicolas Jouannaut, Olivier Renaldin et Luc Lemire. Il y avait le même le premier saxo des débuts, André Désiltets. Inutile d’ajouter que certains titres du groupe-phare indépendant des années 1990 étaient plus explosifs que jamais.
Retour vers le futur
Il fallait voir Jouannaut et Lemire porter leur t-shirt vintage Possession Simple des années 1990 et admirer tous ces gars désormais dans la quarantaine jouer avec plus de fureur que lorsqu’on les avait vus une première fois au Grand Café… en 1992.
Il faut dire que l’on a eu droit à un best of… aux petites heures du matin (le band est monté sur scène à minuit et 20 minutes). S’exiler était vibrante comme dans le temps et Lundi a eu droit à des couches des saxophones ténor et baryton.
Historien hors pair, Goulet a remis en contexte certaines chansons et clips d’antan. Et quand un spectateur lui a lancé qu’il avait des cheveux blancs, il a répondu : « J’avais les cheveux bruns, mais j’ai encore des cheveux.»
Nous avons eu droit à la toujours « tristement d’actualité » Qui cé qui veut ta peau?, une Guerre d’usure plus blues et crasseuse que d’habitude, une livraison hard métal du Chat du café des artistes et l’hommage de Possession Simple à Black Sabbath : Trop.
Quand ce fut le temps des « grands succès » tel Comme un cave (fédératrice), J’la veux (explosive), J’attends l’orage (digne d’une déflagration) et Il sait, le band a oublié son âge.
Goulet, debout sur les moniteurs ou à genoux sur les planches, Lemire, sautillant sans cesse comme s’il était dans la vingtaine, et Jouannault, dans une pose à la Paul Simonson, s’eclataient sans retenue. Les gars avaient le goût de revivre le passé, et comme les Stones l’autre soir, ils ont pris de l’âge, mais ils sont encore performants au possible.
Un régal pour les yeux et les oreilles pour conclure une virée de six heures et demie qui rappelle à ce journaliste qu’il reste encore huit jours de festival. Il faudrait peut-être s’économiser…