Quel magnifique album ! Rendant hommage à des amis ou à des musiciens qui les ont influencés, Henry Threadgill et ses complices continuent de réinventer la «Grande Musique Noire» en y injectant une saine dose de folie libératrice.
Par François Vézina
Issu de l’Association for the Advancement of Creative Music, le trio Air, une des meilleures formations des années 1970, explorait le jazz à sa façon, manipulant les timbres et les tonalités, privilégiant l’improvisation collective afin de créer des climats variés.
Au départ, le hard bop est évoqué. Signé par Steve McCall, B.K. est un thème envoûtant, magnifiquement exploré à la flûte par un Henry Threadgill fort inventif. Superbe solo de Hopkins qui y intègre subtilement, non la ligne mélodique, mais son propre motif rythmique.
Œuvre de Fred Hopkins, R.B. est un titre à la beauté majestueuse, et, en apparence, une belle invitation à la méditation. Les musiciens prennent leur temps, la contrebasse dédoublant la flûte. Mais il faut faire gaffe aux apparences car les musiciens prennent peu à peu leur espace et transforment la pièce en un bouleversant chant funèbre.
C.T., J.L., longue pièce abstraite de Threadgill en hommage à Cecil Taylor et à Jimmy Lyons, complète l’album. Le saxophoniste s’en donne à cœur joie mais ses phrases exacerbées seraient un peu vaines si elles n’étaient pas éclairées de façon magistrale par Hopkins. Les deux musiciens créent une tension et tentent de s’en délivrer en proposant à tour de rôle diverses solutions, apportant du même coup une forte progression dramatique.
Une grande complicité
D’ailleurs, la complicité entre les trois musiciens apporte une immense intensité à leur musique. Chacun fait jeu égal avec ses partenaires.
Il faut toutefois souligner le travail inouï de Hopkins dont la grande musicalité, tant à l’archet qu’en pizzicato, et la puissante sonorité, procurent une base solide à l’ensemble. Quant à McCall, il commente de façon bien pertinente le jeu de ses compères.
Hard bop décalé et marche dévoyée, Air est fidèle à lui-même, s’amusant à relire le passé à la lumière du temps présent et refusant de s’embarrasser d’un beat trop contraignant. Le groupe était un gardien de la mémoire du jazz, une mémoire vive qui refusait de s’enfermer sur elle-même et de se fossiliser, une mémoire qui ouvrait les voies vers de nombreux avenirs.
Le Top 50 de Frank (34): Air, Air Mail
Étiquette: Black Saint
Enregistrement: 28 décembre 1980
Durée: 35:47
Musiciens: Henry Threadgill (flûtes, saxophones, hubkhaphone), Steve McCall (batterie, percussions), Fred Hopkins (contrebasse).