Francos 2013, Jour 7: la nouvelle France

Benjamin Biolay: un retour après cinq ans à Montréal. Photo Victor Diaz Lamich/Courtoisie FrancoFolies de Montréal

La France a donné naissance à tellement de légendes de la chanson (Piaf, Trenet, Brassens, Aznavour, Bécaud, Barbara, Nougaro, Bashung) que leur influence se fait encore sentir. Mais cette France chansonnière, en 2013, a pris d’autres formes.

Par Philippe Rezzonico

Après I AM et Raphael, mardi, la soirée de mercredi aux Francos allait porter le sceau Made In France avec Eiffel, Fauve ≠ et Benjamin Biolay, trois porte-étendards tricolores qui véhiculent la France de leur génération.

À L’Astral, Eiffel faisait un retour après un passage extérieur aux Francos de 2012. Pas question de mettre le pied sur le frein pour le groupe de Romain Humeau : ouverture avec l’irrésistible Place de mon cœur et la puissante Libre. Pas question, non plus, de jouer les touristes. Humeau s’approche au-devant de la scène et regarde les spectateurs des premières rangées dans les yeux.

Le groupe français méconnu chez nous, mais qui a déjà une quinzaine d’années au compteur, peut saturer ses titres de couches de guitares (Nous sommes du hasard), faire dans l’épure (Dispersés) ou proposer des crescendos en puissance (Sombre, exceptionnelle!). On note que la basse d’Estelle Humeau est d’une redoutable efficacité.

Romain et Estelle Humeau, du groupe Eiffel. Photo ULB/Courtoisie FrancoFolies de Montréal

Parfois, il faut néanmoins travailler la foule au corps, même avec À tout moment la rue, peut-être bien la seule chanson qui évoque quelque chose au Québec. Pas un problème pour Humeau. Il se rend sur le  parterre pour haranguer la foule. À la fin, les spectateurs scandaient « Non!! » avec conviction, pour répondre à la phrase : « À tout moment la rue peut dire…. ». Du bon travail.

Finale exemplaire avec le texte de Je ne voudrais pas crever, de Boris Vian. Reste maintenant à Eiffel se de faire connaître au Québec ailleurs qu’à Montréal. C’est possible. Les bases de la tour sont solides.

Coup de poing

Au Métropolis, ceux qui n’avaient jamais vu – et surtout – entendu Fauve ≠, ont dû tomber sur le cul en première partie de Benjamin Biolay. Vous savez, bien sûr, comment Grand Corps Malade peut déverser un flot intarissable de mots sur scène. Avec Fauve ≠, imaginez la même chose, dans une mouture de spoken word, de slam et de hip-hop livrée à une cadence supersonique.

Flanqué de ses quatre collègues armés de deux instruments organiques (guitare et basse), de bidules électroniques et appuyés d’un écran sur lequel défilent sans cesse des images, le chanteur du collectif français – qui a la bouille d’un Claude François période 1965 – se démène comme un diable dans l’eau bénite sur scène.

Le collectif Fauve. Courtoisie FrancoFolies de Montréal.

Fougueux, presque déjanté, ce dernier scande des textes durs et dénonciateurs qui sont aussi – paradoxe – empreints d’espoir et de poésie. Haut les cœurs! et Blizzard font mouche, tout comme Nuits fauves, titre de chanson qui est aussi le titre du film de Cyril Collard qui a servi d’inspiration au collectif.

Le flow est irrésistible, le langage cru (on entend aussi souvent « enculé » que « fuck » chez les rappeurs anglo-saxons) et on trépigne sans cesse lors de la livraison de 45 minutes. Révélation.

B.B.

Si Benjamin Biolay est, à priori, l’artiste de ce trio dont les racines sont les plus proches des géants nommés en début de texte, il est revenu pour une première fois en cinq ans à Montréal avec des enrobages éminemment contemporains.

Qu’il pige parmi les sélections de son récent Vengeance (sept titres) ou de classiques que l’on retrouve sur son Best of…  (six chansons), Biolay a alterné entre les enrobages électroniques, les pulsions lourdes, la guitare diffuse et le piano organique.

Voix grave pour Chère inconnue, mise en bouche tirée d’un film de science-fiction pour La Superbe, ou claviers galopants pour Rendez-vous qui sait, Biolay a privilégié les ambiances aux propos, ce qui n’a pas empêché les mélodies d’Aime mon amour et de Night Shop de toucher la cible.

Personnellement, j’ai de loin préféré quand le pianiste-claviériste de Biolay prenait place derrière le grand piano plutôt que derrière son clavier électronique. J’ai bien failli hurler en entendant le piano-clavecin de À l’origine, nettement plus prononcé que sur la version studio. En revanche, charmé, étais-je, lors de l’interprétation de la magnifique Ton héritage.

De son propre aveu, pas bavard, Benjamin Biolay peut être intense. Photo Victor Diaz lamich/Courtoisie FrancoFolies de Montréal.

Nous aurions pu nous attendre à une participation d’Oxmo Puccino – présent à Montréal – ou d’Isabelle Boulay – amie de longue date – dans ce spectacle de Biolay, mais c’est Ariane Moffatt qui s’est pointée au rappel pour partager Brandt rhapsodie et Profite avec le Français, peu bavard (comme d’habitude), mais néanmoins touché de l’accueil de cette foule qui n’a pas fait le plein au Métropolis.

Le duo de Brandt rhapsodie fut sympathique mais guère convaincant, Ariane lisant les paroles de la chanson interprétée à l’origine par Jeanne Cherhal. En revanche, elle a impeccablement remplacé Vanessa Paradis pour Profite, où les deux interprètes rivalisaient de ferveur.

Quand Biolay a conclu avec la majestueuse Les cerfs-volants, on se disait que cette France contemporaine devrait nous visiter plus souvent. Après tout, nous sommes en 2013. Pas en 1963.