Gala de l'ADISQ: le virage grand public

Maxime Landry et Marie-Mai qui célèbrent en 2010 leurs nombreux Félix. Une image que l'on pourrait revoir pas plus tard que dimanche. Photo d'archives. Courtoisie Pascal Ratthé.

Lorsque les mises en nomination en vue du Gala de l’ADISQ ont été dévoilées il y a quelques semaines, deux proches ont noté que ce n’était pas une « grosse année ». Connaissant leurs goûts musicaux, ça voulait dire – décodeur requis, ici – que c’était une année « grand public ». Ils ont vu juste. Du moins, en partie.

Philippe Rezzonico

Là où ils font un peu fausse route, c’est que l’année en question, justement, y est pour beaucoup dans la perception qualitative. Les disques, DVD et autres spectacles en nomination doivent être parus ou présentés entre le 1er juin d’une année X et le 31 mai de l’année suivante. Bref, si l’artiste A et la formation B n’ont rien produit durant ces douze mois, ils sont absents des nominations.

Il y a des cas particuliers. Un artiste ou son gérant peuvent décider de ne pas mettre en lice un album paru, disons, quatre ou six semaines avant la fin de la période de mise en candidature (1). Ils pourront le faire l’année suivante s’ils le désirent, mais les ventes liées à l’album seront toujours comptabilisées sur une période maximale de 12 mois.

Aparté, ici, Eric Lapointe a perdu une belle occasion de se taire cette semaine quand il a accusé l’ADISQ de tous les maux pour ne pas avoir retenu l’album de son petit frère Hugo. Eric, la prochaine fois qu’on se croise, je vais t’expliquer comment fonctionne le processus. Promis. Mais je résume ça en précisant que les mises en nomination sont déterminées par le vote de quelque 700 personnes. Il n’y a pas de complot.

Là où mes proches ont vu juste, c’est dans cette tendance « grand public ». L’an dernier, j’écrivais que l’ADISQ avait manœuvré à merveille pour couper l’herbe sous le pied de Quebecor – dont les membres avaient quitté le c.a. -, afin d’éviter la création d’un gala parallèle qui aurait pu miner son hégémonie. Je n’ai pas changé d’avis.

Effet imprévisible

Sauf qu’on ignorait alors que certaines parades de l’ADISQ allaient avoir un curieux effet. Primo, l’ADISQ a permis à tous les artistes, même les non membres de son association, de pouvoir inscrire leurs produits. Et les plus « grand public » du nombre ne se sont pas gênés pour le faire. L’ADISQ a même élargi ses critères d’admissibilité pour les non membres cette année.

De plus, comme elle le fait régulièrement, l’ADISQ a modifié certains règlements. En 2010, le Groupe de l’année était désormais désigné par un vote populaire, ce qui a mené à l’incongruité que l’on sait : la victoire de Mes Aieux, groupe qui avait été presque totalement absent des radars. Même Stéphane Archambault l’a souligné en direct à la télévision lors de l’obtention du Félix.

Mes Aieux, stupéfaits lors du Gala de l'ADISQ 2010 d'avoir remporté le Félix de Groupe de l'année. Photo d'archives. Courtoisie Catherine Lefebvre.

Pas dit qu’on ne vivra pas la même chose cette année avec les Cowboys fringants qui sont en lice, presque aussi invisibles que Mes Aieux durant ladite période de candidature. Les Cowboys ont d’ailleurs pris la peine de dire à leurs fans de ne pas voter pour eux sur leur site web. La curieuse affaire que voilà…

Pour le public, Groupe de l’année veut dire « Groupe préféré ». Pour un jury, Groupe de l’année veut dire « Groupe par excellence ». Pas de fautif. Les perceptions ne sont tout simplement pas les mêmes. Cela dit, en faisant cette modification, l’ADISQ a amorcé une tendance.

Le vote Spectacles

Cette année, deux catégories importantes ont été sujettes à des modifications de scrutin, celles des Spectacles de l’année, dans les catégories Auteur-compositeur-interprète et Interprète. Dorénavant, le vote d’un jury spécialisé compte pour le tiers des points, celui des membres de l’Académie pour un autre tiers, et – nouveauté – le dernier tiers tient compte de la vente des billets (2).

Certains diront qu’il est logique qu’un pourcentage des ventes de billets soit retenu pour les Félix « Spectacles », comme c’est le cas pour les Félix « Albums ». Oui, mais le rapport de force n’est pas le même.

A l’ère commune du disque physique et numérique, tous les albums partent sur un pied d’égalité lors de leur mise en marché. Ce n’est plus comme dans le temps, quand un magasin décidait de ne pas garder en inventaire tel ou tel disque. L’album de ton favori n’est pas disponible dans la grande surface de détail populaire ? Tu peux l’acheter sur le web en deux minutes.

Pour les spectacles, chaque artiste décide du genre de tournée qu’il veut faire. Un show unique thématique, une tournée acoustique du Québec en solo, ou une grosse virée électrique avec band ? Selon l’option, on ne joue plus du tout sur les mêmes bases comparatives.

Avantage marqué

A votre avis, dans la catégorie Spectacles – ACI, quel est l’avantage de Marie-Mai, qui a aligné les Centre Bell, face à Bernard Adamus, qui a joué dans des salles de la dimension de La Tulipe ? Et dans la catégorie Spectacles – Interprète, Fred Pellerin, dont le show de chansons a été présenté dans son patelin de St-Elie, n’affiche-t-il pas des milliers de spectateurs de moins au compteur que La mélodie du bonheur, qui a joué durant deux mois à guichets fermés au théâtre St-Denis?

On pense que le spectacle de Fred Pellerin, lauréat l'an dernier, accuse un gros retard sur celui de La mélodie du bonheur en vue du scrutin de 2011, rayon vente de billets. Photo d'archives. Courtoisie Catherine Lefebvre.

Au final, les artistes les plus populaires vont avoir un avantage marqué qui n’existait pas avant dans ces catégories, parce qu’ils font d’ordinaire de plus longues tournées dans des salles plus vastes. Auparavant, ces deux Félix étaient remis aux spectacles les plus méritants – comprendre, les meilleurs – selon des considérations artistiques. Dorénavant, ils risquent de plus en plus d’être remis à des artistes qui auront attiré le plus grand nombre de spectateurs. Pas pareil.

Dans les faits, il n’y a que quatre catégories (Interprète féminine et masculin, Chanson et Groupe de l’année) qui relèvent uniquement du vote populaire sur les 12 Félix qui seront remis en direct, dimanche soir, au Gala de l’ADISQ.

Mais comme la vente de disques (dans les catégories Albums pop, pop-rock et folk contemporain) et la vente de billets (dans les catégories Spectacles ACI et Interprète) représentent à mes yeux le verdict du public envers les artistes par le biais de leurs œuvres et performances, cela fait finalement neuf catégories sur 12 où le vote populaire est représenté à des pourcentages divers.

J’ai toujours estimé que le Gala de l’ADISQ était l’équivalent québécois des Grammy Awards. Faudrait pas que ça devienne les American Music Awards.

(1)   Article 17 d, de la réglementation officielle de l’ADISQ

(2)   Article 17 e, de la réglementation officielle de l’ADISQ.

 

………