Faut croire que Mohammad Ali avait raison… à propos de Guillaume Wagner. Pour être bon, il faut croire qu’on l’est. Et ce n’est pas de la prétention quand on livre la marchandise annoncée.
Par Pascale Lévesque
Cinglant, le premier spectacle solo de l’humoriste, n’a peut-être pas mis k.o. tout ce qui bougeait, mais il a remporté la majorité des rounds sur le ring du Théâtre St-Denis lors de sa rentrée montréalaise.
Il faut un certain « mojo » pour présenter un premier one man show. Il faut être un peu fou pour renchérir sur l’attente du public et des médias en vendant ses billets un an d’avance dans un beat the clock, en multipliant les entrevues et en s’exposant pratiquement à chaque mois sur le sujet, tant à la télé, à la radio que dans les journaux.
Réflexion faite après avoir reçu le dossier de presse du jeune Wagner épais de près d’un centimètre à l’entrée du théâtre : « Guillaume, t’es mieux de livrer… »
Chose promise, chose due. Sans doute l’un des meilleurs débuts depuis un moment par une recrue, dans ses qualités comme dans ses défauts. D’abord, parce qu’il a fait honneur à son titre, Cinglant.
Sans gants blancs
D’entrée de jeu, l’assistance (enfin, celle qui n’avait peut-être pas compris la signification du titre) a été avertie par le stand-up comic : quand on va voir un spectacle qui s’intitule ainsi, on ne veut pas sur scène quelqu’un qui essaie de nous plaire.
Exit les « matantes », les gens sans jugement, les intellos qui s’émoustillent seulement aux jeux de mots et les vieux « parce qu’ils vont mourir, tsé. Moi j’essaie seulement de me bâtir un public fidèle ».
Avertissement bénéfique et qui, surtout, aura laissé le temps à la foule de digérer l’humour sans gants blancs de Wagner. Car pour se faire écouter, il faut d’abord se faire aimer un tantinet. Soulignant qu’au Québec, on se choque facilement, et peut-être pas pour les bonnes choses il a lancé « On se choque parce qu’André Boisclair prend une graine dans le cul, alors qu’on ne se choque pas quand, à chaque pub de Honda à la télévision, Martin Matte en prend une dans la gueule ».
Ne reculez pas tout de suite sur le dossier de votre chaise, car pour chaque bombe comme celle-là, Guillaume Wagner désamorce.
« Martin Matte a le droit de faire de la pub. Moi, j’ai le droit de ne pas aimer ça », dira-t-il. Et ça va pas mal ainsi pour tous ses punch incendiaires : on allume, mais l’extincteur n’est jamais loin, de sorte que l’on comprend bien que c’est de l’humour avant tout.
La manière américaine
Tant mieux, parce qu’il va s’en dire qu’en empruntant le style stand-up à l’américaine, des punchs, il y en a. Si certains étaient surpris de voir Wagner discourir des relations hommes femmes compte tenu de son engagement social particulièrement étalé dans les médias, sachez qu’il n’a fait que suivre les préceptes du genre d’humour qu’il exploite
Un stand-up sans jokes de couple, c’est comme un sundae sans cerise. À ce titre, on doit lui lever notre chapeau parce que sans réinventer le sujet, il a su y insuffler fraicheur et originalité, même en reprenant ses personnages déjà connus du « dude tcheck mes gros pipes » et de la pétasse « r’gard mes gros totons ». Disons qu’avec Occupation double qui sévit encore pour une raison qu’on ignore, l’image est d’actualité et encore très, très efficace.
Son monologue principal sur le thème était équilibré et réaliste quant aux stéréotypes féminins et masculins. Sans doute le genre de numéro que Patrick Huard aurait rêvé de faire dans Le Bonheur présenté plus tôt cette année.
Surtout le point culminant de cette longue tirade, où Wagner analyse le sens du mot misogyne. « L’homme est tellement content d’être un homme qu’il pense qu’un pénis, ça règle tout! Aussi stupide que ça », avance l’humoriste, avant d’y aller avec toutes sortes d’exemples et même d’avancer que la misogynie pouvait aussi être féminine. Une réflexion brillante, juste, et qui sans faire la morale, laisse quand même songeur. Peut-être le numéro le plus complet et travaillé de Cinglant.
Grosse équipe
D’ailleurs, il convient de souligner à quel point l’artiste a été bien entouré dans la construction de son spectacle. Son script-éditeur Jean-François Mercier a judicieusement su le conseiller sur la chronologie des gags dont l’ordre et l’enchainement étaient très pertinents.
Son metteur en scène, Daniel Fortin, a quant à lui été capable de mettre en valeur les qualités d’interprétation de l’humoriste qui entrait efficacement dans ses personnages et qui en sortait juste à temps, avant de devenir cabotin. Malgré tout, il aurait peut-être fallu contenir l’ardeur du poulain.
Avec ses sujets plus sociaux, la deuxième partie s’annonçait encore meilleure que la première. Conflit étudiant, perte des idéaux québécois, politique, religion… Or, on s’est rapidement aperçu que Wagner en avait donné un peu plus que prévu avant l’entracte et qu’il a dû composer avec ses réserves jusqu’à la tombée du rideau. Sa tendance à répéter deux à trois fois la même phrase avant d’enchaîner avec son punch est l’un des quelques indices qui trahissaient sa fatigue. C’est parfois ce qui arrive quand on est jeune et qu’on défonce tout dès le départ.
Devenir un humoriste mature, perdurer et se renouveler perpétuellement? On peut dire que c’est ce que cette première nous annonce sur cette recrue-qui-n’en-est-plus-une.
Guillaume Wagner est sur la bonne voie de devenir un homme tout en restant jeune. En autant qu’il prenne les moyens pour y arriver et qu’il se souvienne, comme le disait Ali, « It’s not bragging if you can back it up ».
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– Cinglant de Guillaume Wagner, mise en scène de Daniel Fortin, script de Jean-François Mercier. En tournée pour 2012 et 2013.