Ceci n’est pas une sempiternelle compilation de grands succès, un énième disque de duos ou un 123 742e album de reprises. Ceci est l’histoire de la chanson française avec un grand H. Des histoires de cœur et d’amour interprétées par les grands d’aujourd’hui et d’hier. Et la raison pour laquelle Radio-Canada est unique et essentielle.
Par Philippe Rezzonico
Quelques-unes des chansons réunies sur Histoires de cœur ont depuis longtemps dépassé le stade de classiques et de monuments. Même l’appellation « immortelles » semble réductrice.
Pourtant, rarement les a-t-on entendues de la façon dont on les entend ici, résultante, parfois, du choix des interprètes, tantôt, des versions de spectacles d’une autre époque.
La chanson de Prévert. Tout le monde qui a un certain âge connaît ça. Mais que c’est rafraîchissant de l’entendre interprétée par Caracol et Philippe B. Tu m’aimes-tu, ça fait quelques décennies que la version de Richard Desjardins nous est familière. Mais cette reprise d’ingrid St-Pierre modifie le point de vue et fait la démonstration qu’elle s’applique à toutes les générations.
Cela fait tellement longtemps que l’on entend la version de Daniel Lavoie de Ils s’aiment que l’on n’imagine même pas quelqu’un d’autre la chanter. Et pourtant, ici, c’est Lavoie qui est le pianiste et c’est Alexandre Désilets qui est le chanteur. On en a des frissons…
J’ai eu le privilège d’entendre deux fois dans ma vie la muse de La Javanaise (Juliette Gréco) interpréter le chef-d’œuvre de Gainsbourg en duo avec Diane Dufresne. La complicité dans cette version partagée entre Yann Perreau et Louise Forestier est tout autre, mais le résultat vaut son pesant d’or.
Cette chanson est la seule qui ait été enregistrée spécifiquement pour les besoins de ce disque réalisé par Alexandre Bernard et annoté avec moult références historiques par Catherine Pépin. Les autres ont été gravées au Studio 12, lors d’émissions à Ici Musique au cours des ans et même lors d’émissions radiophoniques disparues ou de spéciales télévisuelles d’antan de la chaîne d’état.
Diane Dufresne, on la retrouve avec Félix Leclerc pour l’interprétation de Dialogue d’amoureux (1985) lors de l’émission télévisée Rêve à vendre. Parlez-moi d’amour, elle résonne dans nos oreilles par l’entremise de Lucienne Boyer lors d’un passage à Tour à Tour, en mars 1969.
Vous en voulez des archives sonores de légende? Écoutez cette Dis, quand reviendras-tu? que Barbara chante à la comédie-canadienne en 1967. La livraison des Feuilles mortes par Yves Montand à Music-Hall, lors d’une visite en 1959, ou celle de Brel lui-même de Ne me quitte pas, à la même émission, en 1961. Ne me quitte pas interprétée avec l’intro musicale originale de la version studio de 1959, s’il-vous-plaît. Pas celle au piano que l’on connaît bien.
On remonte jusqu’en en septembre 1948, quand Édith Piaf se pointe au Monument-National et salue la chaleur des Canadiens tout en notant que le climat n’est pas idéal pour la voix avant de chanter La vie en rose.
Et le retour dans le passé va aussi loin que durant la Deuxième guerre mondiale, en 1945, quand le chanteur de charme René Lecavalier interprète Attends-moi mon amour à l’émission L’escargot d’or. Oui, oui… Ce René-là… La figure de légende de La Soirée du hockey.
Non, cette galette n’est pas un album de duos, un disque de reprises ou une compilation de grands succès… même si elle est tout ça. C’est l’histoire. L’histoire de la musique. Des histoires de cœur. Des histoires d’amour. Et il s’agit peut-être bien du meilleur disque collectif de chanson francophone à voir le jour qui fait si bien le pont entre l’Europe et le Québec, ainsi qu’avec les 20e et 21e siècles.