ZZ Top : le contenu vs. le contenant

ZZ Top en 1970. Photo site web officiel de ZZ Top.

Regardez bien la photo ci-dessus. Elle a été prise le 10 février 1970, il y a 45 ans le mois dernier, lors du premier spectacle officiel du trio de ZZ Top formé de Billy F. Gibbons (à droite), Dusty Hill et Frank Beard, dans la salle des Chevaliers de Colomb, le long de l’ancienne US 90.

Par Philippe Rezzonico

Je n’ai aucune idée de ce que le groupe qui allait se surnommer That Little Ol’ Band from Texas a joué ce soir-là, dans la mesure que les disques que l’on connait n’avaient pas encore été enregistrés. Des classiques du blues-rock, probablement. Mais je ne serais pas surpris que le trio ait été sur scène plus longtemps que hier soir au Centre Bell.

Si on exclut la sortie de scène qui annonçait le rappel, les Texas ont livré une performance d’une heure et 25 minutes. Quand on a 45 ans de métier, c’est un peu court. Je préfère toujours un bon spectacle resserré à une prestation mièvre et timide qui s’étire inutilement, mais il y a des limites.

Le pot…

Le fait que nous ayons eu droit à une première partie de 35 minutes relevée et inspirante du Ben Miller Band qui propose une instrumentation éclectique (guitare, contrebasse, batterie, trombone, planche à laver) n’y change rien. Mardi, nous étions à peine au-delà du minimum syndical.

Si nos barbus favoris nous avaient proposé une production digne de ce nom, je n’aurais même pas relevé le facteur durée. Mais non. Comme lors de leur passage au même endroit le 7 novembre 2012, ZZ Top s’est pointé dans un aréna avec un attirail qu’on aurait pu facilement installer dans un club.

Il serait facile de qualifier ce groupe de nostalgique, comme certains le font pour leur musique. La vérité, c’est que les chansons de ZZ Top ont traversé toutes les époques en raison de la qualité intemporelle de celles-ci, soit un mélange de blues, de boogie et de rock n’ roll.

Et dans la foulée de son éclosion planétaire (Eliminator, en 1983) lors des années de gloire du clip à MTV, le groupe a su présenter des spectacles dotés d’une réelle production scénique, non pas avec deux écrans minuscules installés sur la scène qui reproduisaient le même concept qu’il y a trois ans (La Futura).

Dans les faits, le dernier passage des Texans à Montréal avec une production digne de ce nom remonte au spectacle présenté au Forum en 1995 (tournée Antenna) avec une vraie scénographie, des wagons qui explosent et les danseuses de Chez Parée (ou du Super Sex?) qui s’amènent pour Legs. Et la première partie était assurée par… George Thorogood. Plus d’une heure de show pour l’ami George et plus de deux pour ZZ Top. Tout ça, noyé dans un océan de bière. C’était franchement décadent.

Rayon volume de bière consommé, on salue quand même une bonne partie des 5 920 personnes présentes hier soir. Bel effort de leur part.

Les fleurs…

J’ai eu une pensée pour le sympathique jeune couple venu de Sherbrooke pour voir le spectacle que j’ai croisé au pub du centre-ville avant la prestation. Eux – sauf peut-être pour la durée -, ont dû repartir pleinement satisfaits. Le spectacle avait beau être trop court et pas étoffé, la qualité musicale des vétérans était de haute tenue.

Le son était tout simplement impeccable. La guitare de Gibbons était aussi nette qu’elle était mordante. Gibbons demeure d’ailleurs encore et toujours un guitariste de première force dont les tonalités sont renversantes. Parfois, on voit des guitaristes changer d’instrument à toutes les chansons. Lui, il peut conserver la même pour six titres de suite et pourtant varier ses offrandes en raison de la diversité de son jeu.

Il y a peut-être des spectateurs qui auraient préféré entendre deux chansons de ZZ Top plutôt que les reprises de Jimi Hendrix (Foxy Lady) et de Muddy Waters (Catfish Blues), mais c’était un régal d’entendre Gibbons et Hill s’attaquer à de tels monuments.

Le trio a eu la bonne idée d’ouvrir sa prestation sur une bombe d’Eliminator, Got me Under Pressure, qui a rallié les amateurs du groupe de toutes générations. Jesus Just Left Chicago était sale et crasseuse à souhait, I’m Bad I’m Nationwide (avec une rythmique retouchée par Gibbons et Hill en regard de la version originale) a permis à la foule de participer lors du refrain.

Et il était chouette d’entendre Cheap Sunglasses… au sec. La dernière fois que cette chanson a été jouée par ZZ Top à Montréal, c’était lors du spectacle extérieur de 1997 au parc Jean-Drapeau (avec Cheap Trick et Noir Silence) sous un déluge de flotte.

Sans surprise, les désormais monuments que sont Gimme All Your Lovin et Sharp Dress Man ont été les chansons les mieux accueillies, avec les légendaires La Grange – vachement meurtrière – et Tush au rappel. Dans mon coin, ces interprétations ont failli mener à quelques prises de bec : un tiers de gens se levaient, un tiers des spectateurs demandaient à l’autre tiers de s’assoir et le dernier tiers parlait sans cesse, je me demande bien pourquoi. Une atmosphère bordélique très rock n’ roll. On aime.

En définitive, cette soirée aura été tel un couteau à deux tranchants : une production moche beaucoup trop courte jumelée à une excellente prestation vitaminée. Mais au moins, c’est le contenu qui aura eu le dessus sur le contenant. C’est l’essentiel.