LAS VEGAS – Olivia Newton-John. Le nom, d’emblée, évoque le film Grease et ses chansons à saveur fifties pour des millions de personnes. Pour d’autres, ce sont les tubes pop des années 1980 comme Physical, Magic ou Xanadu qui viennent à l’esprit.
Par Philippe Rezzonico
Rarement la mention de Newton-John fait penser, de facto, à I Honestly Love You, If Not For You, Let Me Be There et autres Sam qui en ont fait une vedette internationale bien avant son film avec John Travolta. Il suffit pourtant d’assister à son spectacle Summer Nights dans la ville du jeu pour réaliser à quel point le répertoire de l’Australienne est aussi étendu et éclectique que nombre de ses contemporaines.
Depuis l’été dernier, Newton-John présente Summer Nights au Flamingo en alternance avec le spectacle de Donny et Marie Osmond. Note historique : le Flamingo est l’un des rares complexes de Vegas dont l’hôtel (modernisé et/ou agrandi en 1967, 1975, 1977, 1982, 1990 et 1995) est situé sur l’emplacement original de l’hôtel et casino bâti par le mafieux Bugsy Siegel et ouvert en décembre 1946.
La salle Donny & Marie où se produit Newton-John, fait la belle part au mobilier rouge (fauteuils, coussins, rideaux) et offre un angle de vue impeccable au spectateur, peu importe sa localisation. N’empêche, ce n’est pas au siège A-Front 23 6 que j’ai pris place, comme l’indiquait mon très bon billet.
À l’entrée, un placier dont l’âge très avancé me laisse présumer qu’il devait faire ce boulot tout jeune, quand Frank, Dino et Sammy écumaient Vegas, m’installe à une place exceptionnelle, dans un siège deux fois plus dispendieux. En définitive, il m’installe sur la scène… Ou presque.
Proche au point que je n’avais même pas à étirer mon bras pour toucher ladite scène, à ma droite. Proche au point que je pouvais lire le télésouffleur d’Olivia installé au bout de la petite passerelle. Proche au point que je devais rejeter ma tête en arrière quand la chanteuse se déplaçait de cinq pieds à sa gauche, tellement j’étais à ses pieds. Message aux messieurs : dans cette ville où des milliers de touristes ne respectent aucune tenue vestimentaire, le port du veston et d’un chapeau à l’allure Sinatra attire encore des privilèges…
Sans trop de surprise, c’est la mélodie de I Honestly Love You qui se fait entendre au moment où le rideau se lève pour dévoiler une scène blanche et huit musiciens et choristes. Newton-John, toute de noir vêtue, affiche sa taille de jeunesse et ce sourire qui a fait sa marque de commerce depuis désormais plus de quatre décennies.
Have You Never Been Mellow, chanson #1 de 1975, donne le ton. Voix bien ajustée de la chanteuse, grain intact, arrangements proches de ceux de 1975. Le journaliste en vacances fond un peu quand Olivia se penche vers lui et chante, yeux dans les yeux, « ha-ve you ne-ver been mel-low… ». Le chapeau Sinatra… Pas de doute là-dessus.
Faisait référence à l’un de ses films, « non, pas celui-là », lance-t-elle à un spectateur qui vient de crier Grease, elle enchaîne avec la chanson-titre de Xanadu, toujours aussi mélodique qu’à l’origine, mais moins pop bonbon en raison de la présence d’un vrai piano (bonheur) plutôt que de claviers. Très réussie.
On poursuit dans la même veine avec deux chansons du même film, Magic et Suddenly, cette dernière chantée à l’origine en duo avec Cliff Richard. Ici, c’est le choriste de longue date de Newton-John, Steve Real, qui prend le relais, ce qu’il fait aussi pour les titres de Grease que Newton-John partageait avec Travolta. Le monsieur a un timbre qui se fond bien avec celui de sa partenaire de chant. Suddenly, qui ne m’a jamais trop émue sur disque, s’avère plus savoureuse sur scène.
A Little More Love, un autre succès Top 10 (# 3) de 1978, se veut un voyage dans la vie de la chanteuse tandis que des images de toutes ses périodes musicales, cinématographiques, philantropiques et personnelles. Ce moment Technicolor fait place à une Sam dotée d’une tendresse à donner des frissons. Newton-John dit que c’est l’une de ses chansons favorites et on la croit sans peine.
Classiques et standards
Place ensuite au bivouac, quand chanteuse, musiciens et choristes s’installent sur des sièges l’avant-scène pour le bloc country. Pour l’auteur de ces lignes qui a fait connaissance avec Let Me Be There et If You Love Me (Let Me Know) à l’âge de 14 ans par l’entremise d’Elvis et de son disque Moody Blue, c’était le comble de la joie d’entendre ça de la part de celle qui a les a popularisées.
Et il y a eu If Not For You, la chanson de Dylan qui fut un tube pour George Harrison sur All Things Must Pass, qui fut le premier succès au palmarès de Newton-John en 1971. Aussi délectable que de se laisser bercer au son de la mirifique Please Mr. Please. Un régal que ce pot-pourri de chansons pratiquement toutes jouées dans leur intégralité.
Olivia étonne quand elle enchaîne aussitôt Physical dans une mouture country-folk… avant de s’arrêter pour lancer : « Et si on la faisait dans sa version originale ? » C’est, bien sûr, ce qu’espéraient les amateurs. N’empêche, en dépit des images dépassées du clip d’antan projetées sur les écrans, ce vers d’oreille rebute beaucoup moins dans un contexte de scène quand Newton-John n’affiche pas son âge en dansant avec entrain.
Ce qui ne sera pas le cas quand elle se souvient de son premier voyage à Londres à l’âge de 16 ans, période où elle a fait connaissance avec l’œuvre de Julie London (paradoxalement, une Américaine) et de sa version de Cry Me A River. Celle d’Olivia, juste, mais sans éclat particulier, s’avère très élégante.
En revanche, la Send In The Clowns qui suit nous jette par terre. Newton-John y met toute la fragilité du monde avec une interprétation à couper le souffle. Le classique de Sinatra qui fut aussi un tube pour Barbra Streisand est carrément magique.
Grease is the word
Après une interprétation émotive de Not Gonna Give Into It qui rappelle sa lutte contre le cancer dont elle a fait les frais dans les années 1990, l’extinction des lumières met la table pour un extrait sur écran de Grease – Look at Me, I’m Sandra Dee (reprise). Frémissements perceptibles avant les premières mesures de You’re the One That I Want où Newton-John chante comme si nous étions toujours en 1978. Même timbre, même phrasé, même projection. Ça fait boum!
Après avoir noté que les gens lui disent maintenant « qu’ils font voir Grease à leurs petits-enfants », Olivia s’attaque à Hopelessly Devoted To You. Et là, nous sommes sidérés. On revoit la Sandy du passé interpréter la ballade dans la clé d’origine, comme toutes les autres chansons du spectacle, d’ailleurs.
La cime vocale, si haute, est respectée à la lettre. Impressionnant. La table est mise pour une Summer Nights participative avec les messieurs dans l’assistance qui chantent les paroles des T-Birds et les dames, celles des Pink Ladies. Le segment se boucle avec la joyeuse We Go Togheter, durant laquelle Olivia s’éclipse à la fin pour revenir avec une superbe robe du soir ajustée.
Avec une sincérité indéniable, l’artiste salue la foule en expliquant à quelle point elle est choyée de faire ce qu’elle fait après toutes ses années. S’enfuit une appropriée Grace and Gratitude et, cette fois, la version intégrale et diablement touchante de I Honestly Love You.
Sentiment partagé par tous en quittant la salle.