Jutra 2012 : Éducation, militantisme et humanité

Philippe Falardeau avec les Jutra de la réalisation et du scénario pour Monsieur Lazhar. Photo Patrick Lamarche/Flash Québec.

Monsieur Lazhar, Monsieur Lazhar, Monsieur Lazhar, Monsieur Lazhar, Monsieur Lazhar, Monsier Lazhar et Monsieur Lazhar. Hormis les Jutra du meilleur acteur et de la meilleure actrice décernés à Gilbert Sicotte (Le vendeur) et Vanessa Paradis (Café de Flore), Monsieur Lazhar a remporté tous les Jutra d’importance et quelques autres en prime, dimanche, lors de la 14e cérémonie de remise diffusée à Radio-Canada.

Par Philippe Rezzonico

Film par excellence, réalisation (Philippe Falardeau), scénario (Philippe Falardeau), acteur et actrice de soutien (Émilien Néron et Sophie Nélisse), musique originale (Martin Léon) et son. La totale, ou presque. Et on s’y attendait. Finalement, la controverse entourant les bulletins de vote sur lesquels il était précisé que les votants n’étaient pas obligés de voir tous les films aura fait long feu.

Vous pensiez vraiment que Coteau rouge avait des chances face à Monsieur Lazhar qui était en nomination aux Oscars il y a deux semaines et qui a raflé six prix Genie (cinéma canadien) il y a trois jours?

« Il y a cinq ou six ans, on me prenait pour le fils de feu Pierre Falardeau. Aujourd’hui, dans la rue, on me dit « bonjour, M. (Denis) Villeneuve », a déclaré Philippe Falardeau, non sans humour. « Demain, on va enfin me dire « félicitations, Monsieur Lazhar ! ».

Le cinéaste a su être à la fois gracieux et pertinent chaque fois qu’il est monté sur la scène du théâtre St-Denis pour cueillir un prix personnel, écorchant la télé-réalité au passage en rappelant que du temps de sa jeunesse et de La course destination monde « on nous demandait de réfléchir et de partir à la recherche de l’autre. »

Symbolisme

Parfois, le hasard fait bien les choses. Il y avait un énorme symbolisme de voir un film campé dans le milieu de l’éducation s’imposer dans sept des neuf catégories où il était en lice au moment où les étudiants et le gouvernement provincial sont engagés dans une lutte à finir quant à la hausse touchant les droits de scolarité.

Nombre de réalisateurs, acteurs et artisans du septième Art québécois arboraient d’ailleurs la cocarde rouge en signe de soutien aux étudiants qui rejettent les hausses.

Émilien Néron, meilleur acteur de soutien pour Monsieur Lazhar. Photo de production.

Le contexte social et politique actuel aura d’ailleurs grandement teinté les remerciements lors de cette soirée où il n’y avait véritablement aucun suspense quant à l’identité des lauréats.

Le réalisateur Philippe Lesage, dont le documentaire Ce cœur qui bat a été primé, a déclaré vouloir « continuer de vivre dans une société qui soutien les artistes.»

Le producteur André Rouleau, dont le film Starbuck a obtenu le Billet d’or pour le plus grand nombre d’entrées, a été plus loin, soulignant la contribution du Gouvernement du Québec mais interpellant directement le ministre James Moore et le premier ministre Stephen Harper pour maintenir les sommes consacrées au cinéma et à la culture dans le budget fédéral à venir.

Est-ce que les appels seront entendus dans un cas comme dans l’autre ? L’avenir rapproché nous le dira, mais il est clair que des tribunes de ce calibre s’avèrent encore et toujours des plateformes exceptionnelles pour livrer un message.

D’aucune façon ce volet réquisitoire n’a porté ombrage aux œuvres et artisans primés. En fait, on avait l’impression que les causes sociales, militantes et culturelles qui avaient droit de cité en direct reflétaient l’humanisme des personnalités célébrées et des scénarios de films en compétition.

Pensez-y… Monsieur Lazhar, Café de Flore, Le vendeur, Starbuck et même des films oubliés aux nominations comme Marécages parlent d’éducation, de maladie, de vie, de mort, d’humanisme et de crise économique. La vie, quoi.

Gilbert Sicotte dans Le vendeur. Photo de production.

Gilbert Sicotte, qui attendait une telle récompense depuis toujours, a noté qu’il n’avait « pas le goût de dire que c’est le rôle de ma vie, parce que j’ai le goût d’en faire d’autres.»

Et que dire que l’actrice et réalisatrice Paule Baillargeon, dont on a couronné la carrière de battante et de modèle… Son discours et le superbe montage hommage qui a résumé son parcours ont démontré à quel point la notion même de rentabilité dans l’art est de la démagogie pure et simple.

Touchante, elle a parlé de son ami Claude Jutra qui aurait eu 82 ans dimanche et que « Nous, qui oublions très souvent, nous sommes les gardiens de sa mémoire, lui qui l’avait perdue.»

Le duo de choc

Sylvie Moreau et Yves P. Pelletier ont encore une fois livré une performance dynamique avec juste ce qu’il fallait de méchanceté pour écorcher où il le fallait et quand il le fallait. Pelletier a d’ailleurs réglé le cas des bulletins de votes d’entrée de jeu en disant à sa co-animatrice qu’elle n’aurait pas dû voir tous les films.

Mais c’est l’ingéniosité des présentations qui a retenu l’attention. Chapeau à Brigitte Poupart et à l’équipe à la réalisation.

Vanessa Paradis, meilleure actrice pour Café de Flore. Photo de production.

Faire intervenir un vrai vendeur de chars, des étudiants, une factrice, un charcutier et un intervenant en toxicomanie pour mettre la table à la remise du meilleur scénario, c’était bien pensé.

On retient également la « traduction simultanée » d’Émanuel Bilodeau, la présentation de Martin Petit portant sur les réalisateurs de films d’animation et la parodie des critiques de cinoche dans les médias populaires, jeunes et pointus. Un régal.

A l’arrivée, si tout le monde se souviendra du grand gagnant, le gala aura largement débordé le cadre du divertissement d’un soir. Le cinéma, c’est aussi une affaire de société et cet événement nous l’a rappelé de belle façon.