Le Top 50 de Frank (17) : l’Action de grâces

Quand John Coltrane entra en studio en ce 9 décembre 1964 pour honorer une promesse faite à son dieu sept ans plus tôt, se doutait-il qu’il allait enregistrer ce qui devint un chef-d’œuvre absolu ?

Par François Vézina

Cette longue prière musicale d’Action de grâces en quatre mouvements marque l’apothéose du célèbre quatuor de Coltrane. Tout au long de cette suite d’une trentaine de minutes, le saxophoniste dévoile ses divers visages.

Après un long recueillement au cours duquel, à mi-chemin du mouvement, il répète inlassablement, comme un mentra (a-luv-su-prem), les mêmes quatre figures sous diverses modulations, une trentaine de fois au saxo d’abord, à la voix ensuite (Acknowledgement), Coltrane laisse éclater une joie non empreinte de sérénité (Resolution) et une fureur de vivre bien exubérante (Pursuance).

Il conclut la suite de façon quasi solennelle, comme s’il récitait sa prière (Psalm). L’homme, qui veut peut-être se faire humble devant son dieu, se lance alors dans l’un de ses plus beaux solos de sa carrière.

Édifiant.

Un groupe soudé

Les compagnons de Coltrane connaissent leur rôle à la perfection. Si le saxophoniste est le cerveau du groupe, Jones en demeure le poumon, celui qui pousse ses camarades vers les sommets. Ses coups de tonnerre à la timbale, combinés aux éclats de cymbales, soulignent pertinemment bien le jeu de Coltrane pendant Psalm.

McCoy Tyner est la charpente harmonique de l’ensemble. Vif à l’accompagnement et inspiré dans ses solos, il défie son leader et l’amène à se dépasser.

Jimmy Garrison est le coeur de l’ensemble, battant le tempo et assurant la cohésion.

Si, comme je l’ai écrit plus haut, l’album est l’apothéose du groupe, c’est presque également son chant du cygne.

Quelques mois plus tard, Coltrane reviendra en studio, s’ouvrant à l’atonalité (en ce sens, Chim Chim Cheree, de la comédie musicale Mary Poppins, a un rôle transitoire ressemblant à celui joué par My Favorite Things, cinq ans auparavant).

Et puis, Coltrane poursuivra sa quête spirituelle tout explorant diverses avenues peu conventionnelles avec d’autres musiciens.

La voie empreinte de religiosité de Coltrane ne fait pas peur. Le musicien veut partager sa créativité et non l’imposer, loin, si loin, des discours des dogmatiques et des fondamentalistes de tous acabits.

Voilà une idée: il faudrait sans doute vendre des saxophones et non des armes à tous les fous de dieu de ce monde.

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Le top-50 de Frank (17): John Coltrane, A Love Supreme

Étiquette: Impulse!

Enregistrement: 9 décembre 1964

Durée: 33:05

Musiciens: John Coltrane (saxophone ténor), McCoy Tyner (piano), Elvin Jones (batterie), John Garrison (contrebasse).