Alliant puissance sonore, arrangements sophistiqués, une vaste palette musicale et un zeste de folie, l’octuor du jamais monotone David Murray est sans doute la formation la plus jouissive du prolixe saxophoniste.
Par François Vézina
Pour le deuxième disque de sa formation de taille moyenne, Murray a fait le choix de la stabilité. L’équipe de choc de l’album précédent, l’excellent Ming, grandement salué par la critique, est de retour. Les musiciens sont prêts à relever le défi et à répéter leurs exploits, sinon à les surpasser.
Une fois encore, la formation s’attaque à un répertoire dévoué exclusivement à l’œuvre de Murray. Et pas seulement à des pièces inédites. Le saxophoniste, à l’instar d’un Thelonious Monk, n’aime pas abandonner ses créations au passé, choisissant de les revisiter et de les remodeler selon ses humeurs et ses ambitions.
Ses relectures sont souvent passionnantes.
L’octuor interprète trois pièces que Murray a déjà enregistrées au sein de plus petites formations. Les arrangements somptueux, taillés au couteau, joués avec une puissance, une précision et une cohésion inouïes, leur insufflent une vie nouvelle.
Santa Barbara and Crenshaw Follies démarre en fanfare. Les divers instruments se mêlent, s’entrecroisent dans un cocktail décoiffant. Les sonorités éclatent de partout. On songe aux improvisations collectives des débuts du jazz, revues ici à la lumière du free.
Last of the Hipmen apparaît comme une relative accalmie. Un thème simple et une ligne de contrebasse puissante libèrent l’espace pour les différents solistes, qui, poussés par un Anthony Davis des grands jours, en profitent pour étancher leur soif de liberté.
3-D Family est servie en dessert: un autre superbe thème au cours duquel, encore une fois, les musiciens s’interpellent, s’apostrophent, se complètent sans perdre leur cohésion. Murray, Dara, Threadgill, Lewis et Davis se succèdent dans le rôle des solistes insolents.
Des inédites
Les deux pièces inédites ne déparent pas dans le lot.
Servie en entrée, la pièce-titre de l’album est une sobre ballade qui permet à Murray de s’amuser avec les teintes et bien mettre en relief les diverses sonorités. Un peu comme des toiles picturales sculptées à la spatule.
L’absence de la batterie sur cette pièce contribue à la tranquillité relative du climat. Mais McCall est bien présent sur les autres pièces, remplissant à merveille son rôle de pourvoyeur d’énergie.
D’autres surprises attendent l’auditeur pendant Choctaw Blues. Sous un tempo hypnotique, Murray et Morris échangent les rôles: la clarinette basse jouant le motif rythmique pendant que la contrebasse crie son chorus.
Les autres musiciens montent dans le train avant de se lancer dans diverses directions toujours pertinentes et de s’amalgamer dans une explosion orchestrale délirante.
Ces lignes en contrepoint ne sont pas sans rappeler, à une autre échelle, les vigoureuses conversations du World Saxophone Quartet, un groupe cofondé par un dénommé – quel hasard! – Murray David.
Le saxophoniste est prolifique. Ses albums sont si nombreux qu’il est presque impossible à les compter tous. Malgré cela, peu d’entre eux sont à jeter aux paniers. Et son œuvre, appuyée par des albums comme ce Home d’anthologie, résistera sans doute aux affres du temps.
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Le Top-50 de Frank (20) : David Murray, Home
Étiquette : Black Saint
Enregistrement : 31 octobre et 1er novembre 1981
Durée : 36:55 (5 plages)
Musiciens : David Murray (saxophone ténor, clarinette basse), Henry Threadgill (saxophone alto, flûte), Olu Dara (trompette), Lawrence Morris (cornet), George Lewis (trombone), Anthony Davis (piano), Wilbur Morris (contrebasse), Steve McCall (batterie).