Jake Bugg: l’idole impassible au talent fou

Jake Bugg, qui était de passage à Osheaga en août (photo), était de retour à Montréal jeudi soir. Photo courtoisie evenko/Tim Snow

« Oh, my god! Oh, my god! Oh, my god! Oh, my god! Oh, my god! Oh! My! God!!! » J’avais compris dès le deuxième « Oh, my god! ». Pour la jeune femme placée à ma gauche au parterre du théâtre Corona Virgin Mobile, jeudi soir, le dieu, c’était Jake Bugg et personne d’autre.

Par Philippe Rezzonico

Visiblement, rien n’a changé depuis Elvis. Chaque génération possède son idole. Mais nous n’étions certes pas à un spectacle de Justin Bieber ou de One Direction. Bugg est un auteur-compositeur déjà fort valable et un guitariste accompli, à défaut d’être une bête de scène. Bref, une idole qui a vraiment du talent et qui n’est pas pré-fabriquée.

Le jeune prodige de Nottingham âgé de 19 ans en était à son deuxième passage en sol québécois, après l’escale au festival Osheaga au mois d’août.

À Osheaga, Bugg était une jeune vedette annoncée que tout le monde voulait voir. Un buzz, comme on dit. The next big thing. Cette fois, dans un Corona bondé et surchauffé en cette magnifique soirée d’été, c’était très majoritairement ses fans qui étaient là. Il fallait entendre la foule faire les « Fi-ii-re !! » avec le jeune Anglais, d’entrée de jeu.

L’autre portion d’amateurs qui avait déboursé la modique somme de 20 $ pour être sur place, était au contraire formée de gens nettement plus âgés que l’artiste, mais qui connaissent toutes les influences auxquelles il s’abreuve.

Cela a mené à un clivage considérable : à droite, il y a avait ceux qui voulaient entendre chanter Bugg et le voir jouer avec dextérité de la six cordes (acoustique ou électrique). Et à gauche, il y a ceux – celles, surtout – qui n’en pouvaient plus de hurler leur désir et les inévitables bavards. Bref, une moitié de salle faisait régulièrement savoir à l’autre qu’il était le temps de fermer sa gueule. Désagréable constat.

Ça n’a guère gêné Bugg, qui nous a montré plus souvent qu’autrement son visage de marbre, impassible, même durant des solos épiques. D’un naturel timide et peu bavard – on l’avait constaté à Osheaga -, l’Anglais a été dérouté par cet accueil délirant une ou deux fois, notamment lors de Song About Love, une jolie ballade introspective, durant laquelle une spectatrice a hurlé : « Jake, you’re awesome!! »

Il fallait voir la tête de Bugg – qui a regardé vers les coulisses avec un large sourire – qui semblait se dire : « mais elles sont déchaînées, ces filles! ». Remarquez, l’ambiance était de cet ordre bien avant son arrivée.

Honey Honey s’en est rendu compte en première partie. Le trio américain d’allégeance folk à l’instrumentation diversifiée (guitares, mandoline, violon, batterie) a eu droit à des applaudissements nourris, notamment au terme d’une étonnante reprise acoustique de 15 Step, de Radiohead.

Mais, la frénésie, elle était bien sûr réservée à Jake et ses deux musiciens qui ont essentiellement livré le même concert qu’à Osheaga en août, retranchant Kentucky et ajoutant quatre autres titres (Country Song, Ballad of Mr. Jones, Song About Love, Someplace), presque tous pour la portion solo/chansons d’amour.

Touche toute en délicatesse pour Fire, furieux « strumming » durant Trouble Town et Slumville Sunrise, cordes pincées pour Seen it All, Bugg varie sa touche en acoustique avec une main droite d’une souplesse remarquable. À l’inverse, c’est sa main gauche qui dicte le jeu durant Taste it, Two Fingers (chantée par la foule), Lightning Bolt, ou Hey Hey, My My (Into The Black), son excellente reprise de Neil Young.

Ça, ce sont les observations que pouvaient faire les gars qui carburent aux diverses sonorités pop, folk et rock. La plupart des filles, elles, réagissaient nettement plus à la voix et au chant du jeune homme qui possède un timbre si particulier.

Mais peu importe la raison pour laquelle nous nous étions déplacés pour aller voir Jake Bugg, tout le monde est ressorti du Corona avec la ferme conviction que l’année 2013 était la première d’une longue série de passages à venir au Québec.

À preuve, le prochain aura lieu pas plus tard que le 12 janvier 2014, au Métropolis. Trois virées à Montréal dans trois contextes différents en six mois. Qui dit mieux?