Spirou, groom de 1938 à aujourd’hui

BRUXELLES – J’ai failli passer devant l’affiche sans la voir, sur la rue Bodenbroeck, à quelques mètres de la Place du Grand Sablon. Normal, elle était dans le passage qui menait à la galerie Petits Papiers. Une belle grande affiche en noir, blanc et rouge. Spirou, groom à tous les étages, peut-on lire, au-dessus d’une reproduction d’une œuvre de Spirou et Spip, dessinée par le légendaire André Franquin.

Par Philippe Rezzonico

Une expo de Spirou, donc? Pas rare en Belgique, surtout en cette année 2013 qui souligne les 75 ans du personnage imaginé par Jean Dupuis et créé par Rob-Vel en 1938. Deux mètres plus loin, une porte vitrée. Dans la pièce, on voit une étagère, vitrée elle aussi, qui contient en autres des puzzles et des jeux Spirou qui doivent dater d’au moins 50 ans. Je pousse la porte… Chic! C’est ouvert.

J’en suis à observer les artéfacts d’influence BD dans le petit vestibule quand une dame arrive.

« Bonjour! Désolé, c’est fermé »

« Ah, non. C’est ouvert. La preuve, je suis entré. »

Un sourire partagé, une question, une explication : la dame, Ginette Hershel, m’explique qu’elle est en train de terminer la mise en place de l’expo en question dont le vernissage aura lieu le lendemain soir.

Je me présente, je lui dis ce que je fais dans la vie et, hospitalité belge oblige, elle m’invite au vernissage auquel assistera la fille de Franquin, Isabelle, qui supervise tout l’héritage de son célèbre paternel.

En fait, le vernissage, c’était aussi un rassemblement du tout Bruxelles rayon bande dessinée. Il y avait également les veuves de Peyo (Johan et Pirlouit, les Schtroumpfs) et de Tibet (Chick Bill, Ric Hochet), Alain Huberty et Marc Breyne, qui ont concocté l’exposition, le président de la chambre belge des experts en B.B., Gaëtan Laloy, et plein d’autres ténors de la BD à Bruxelles que je n’ai pas le plaisir de connaître. J’ai beau avoir quelques vernissages sous la ceinture en plus de 25 ans de métier, celui-là entrait dans une catégorie hors normes.

Reproduction sur plexiglas.

Peut-être parce que j’avais le sentiment de voir l’histoire de près, comme la veille, en observant les toiles de Magritte au musée qui porte son nom. Quand tu as sous les yeux sur une œuvre d’art, peu importe son origine, tu frémis. Et les dessins de Franquin, ce sont de sacrées œuvres d’art!

Pas moins de 75 dessins originaux conservés dans la collection d’Isabelle Franquin ont été l’objet de fac-similés, présentés dans des cadres noir et blanc, avec estampe officielle d’authentification.

Planche originale de Rififi en Palombie, du Marsupilami.

Ceux-ci sont des crayonnés de Franquin, dont certains peuvent être admirés avec les annotations en marge que le dessinateur ajoutait pour ses collègues. La vivacité et la netteté du trait, les expressions, les poses : tout dessin est magnifié quand on le voit à ses premières étapes de création.

Ces dessins de Franquin ont été créés uniquement pour le journal de Spirou des années 1950 jusqu’au début des années 1970. Plusieurs d’entre eux ont été présentés sur les pages frontispices de l’illustré, quand les personnages de Spirou faisaient la promo d’une aventure de Buck Danny, de Marc Dacier ou de Jerry Spring. Fascinant.

Crayonné de Franquin pour le Journal Spirou pour une promo de Marc Dacier.

À droite, on compare un crayonné de départ et sa version finale, tout en couleurs. À gauche, on est ébloui par certaines reproductions qui ont été gravées sur plexi.

Dans les vitrines, on note la présence des recueils numéros 31 et 44 du journal Spirou (vieux de plus de 50 ans), de crayons de couleurs à l’effigie de Spirou, de cartes postales, de disques narratifs des aventures de Spirou incroyablement rares à dénicher (Le repaire de la Murène, Spirou et les héritiers, Le dictateur et le champignon) et de fascicules du journal Spirou datant du déluge sur lesquels le groom annonce au verso les retours des aventures de Jean Valhardi ou de Tif et Tondu (années 1950).

Au centre, Spirou avec Valhardi. En bas à droite, avec Tif et Tondu de la première heure. Chaque fois, en incitant le lecteur à s'abonner.

Pour l’amateur, ces objets et exemplaires rarissimes sont d’autant plus admirables à observer que le commun des mortels ne les a jamais vus. Ce n’est pas comme un tableau de Picasso que l’on ne verra jamais de ses yeux, mais dont des reproductions d’une qualité exemplaires sont disponibles dans de grands livres d’art ou sur le web.

À l’étage, on retrouve cette fois des planches originales planches Spirou, Le journal d’un ingénu, réalisées par Émile Bravo en 2008; des originaux de l’album Panique en Atlantique, de Fabrice Parme; du Petit Spirou, de Janry; et du Marsupilami (Rififi en Palombie) réalisé par Batem.

Au sous-sol, la crypte, comme elle a été baptisée, présente les planches de l’album Spirou sous le manteau, un album concept entouré de mystère.

Les superbes dessins d’Al – dont le trait se situe quelque part entre celui d’un Rob-Vel et d’un Jijé – représentent Spirou et ses amis à Bruxelles durant les années 1943 et 1944. On fait croire qu’il s’agit de reproductions de feuillets faits sous l’Occupation, au point que le dessinateur s’est grimé lors du vernissage comme s’il avait vécu cette période et qu’il était aujourd’hui âgé de plus de 80 ans.

Trompe-l’œil facile à détecter pour les non-initiés, il est vrai, mais ça n’enlève rien à la beauté et à l’intérêt de l’ouvrage.

Si vous passez par Bruxelles d’ici le 6 octobre, cette exposition est à ne pas manquer.

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Spirou, groom à tous les étages

Galerie Petits Papiers, Grand Sablon, 8A, rue Bodenbroeck, 1000 Bruxelles

Jusqu’au 6 octobre.