Le Top 50 de Frank (21) : des vieux airs au goût corsé

Dix-huit mois après avoir franchi avec bonheur l’étape du studio, le Standard Trio, animé par Keith Jarrett, aborde l’épreuve de la scène. Première étape: Paris. Pas de pépin: le défi est relevé avec panache. Mais pouvait-il en être autrement avec des musiciens aussi chevronnés?

Par François Vézina

Après les audaces libertaires du quatuor américain, les explorations en solitaire et les doux paysages scandinaves, Keith Jarrett passe au sas de son lyrisme fécond, la vieille variété américaine.

À cette époque, ce répertoire peut paraître surprenant mais pour le pianiste, c’est l’occasion de renouer avec une certaine tradition et ses propres débuts.

Et aussi, comme il le dira plus tard, il avait envie de jouer des pièces qu’il connaissait déjà.*

On a souvent accusé Jarrett d’être légèrement égocentrique. Or, pour cette aventure, il a recruté deux formidables musiciens qui n’ont pas la réputation d’être des sous-fifres: Gary Peacock et Jack DeJohnette.

Les trois ont déjà collaboré ensemble, notamment pour un album du contrebassiste en 1977.

En ce 2 juillet 1985, le trio veut montrer de quel bois il se chauffe. Ce n’est pas parce qu’il connaît ces rengaines d’un autre temps, choisies avant le concert, qu’il ne se lancera pas dans la grande aventure de la spontanéité.

Ce soir-là, les musiciens ignorent l’existence du pilote automatique. Mieux encore, jamais le concert ne vire à la bataille d’ego. La confiance règne. Jarrett semble en extase du début à la fin.

Ces petits cris pourraient en énerver certains mais ils font partie intégrante du jeu du pianiste. Quand il les pousse, c’est habituellement bon signe.

Au feu!

L’interaction est grande entre ces trois musiciens complètement débridés. Du coup, ces vieux airs, de Stella By Starlight à The Way You Lock Tonight, débarrassés de leur trop-plein de miel, trouvent une nouvelle jeunesse.

Les conversations se multiplient, passionnantes. Jarrett danse autour des thèmes, Peacock, en verve, l’accompagne de son timbre grave et DeJohnette, toutes cymbales dehors, éclaire le chemin.

Ces musiciens n’oublient pas de s’amuser, de modifier les climats. Interprétée sur un rythme rapide, Falling in Love with You donne l’occasion à Jarrett de se lancer dans mille audaces et d’appuyer le solo de Peacock.

DeJohnette donne un aura de mystère à Too Young to Go Steady en mêlant caisse claire et cymbale.

Le trio parvient encore à nous surprendre en fin de concert en interprétant fort respectueusement, de façon quasi amoureuse, une fort jolie chanson de Nat Adderly et Curtis Lewis, The Old Country. Amusant paradoxe: c’est en quittant le monde de la variété que les musiciens se montrent le moins aventureux.

* ROBIEN David, Keith Jarrett, Salon, 4 décembre 2000.

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Le Top-50 de Frank (21): Keith Jarrett, Standard Live

Étiquette: Ecm

Enregistrement: 2 juillet 1985

Durée: 54:23 (6 plages)

Musiciens: Keith Jarrett (piano), Jack DeJohnette (batterie), Gary Peacock (contrebasse).