Le Top 50 de Frank (41): elle était jolie, la pré-révolution

Le premier opus d’Ornette Coleman ne sonnait pas le tocsin de la Révolution. Il n’annonçait même pas la prise de la Bastille. Tout au plus, il chantait le « Ah ça ira! » pour préparer les oreilles et les esprits.

Par François Vézina

Plus de 50 ans nous séparent de Something Else !!!! (si, si, quatre points d’exclamation, pas moins). Il nous est difficile de comprendre comment cet album ait pu être tant décrié à sa sortie, tant il semble plutôt classique à nos oreilles.

Ces neuf titres, tous très beaux (une mention spéciale du jury à The Blessing), ont l’apparence du bop. Coleman et son alter ego, Donald Cherry, exposent le thème à une vélocité certaine. Ils s’échangent ensuite les solos, explorent et développent leurs discours. À ce chapitre, tant Coleman que Cherry forcent l’admiration: tous deux sont des mélodistes brillants et inspirés. Et au final, les deux rejouent le thème, de nouveau à l’unisson.

Les deux solistes sont secondés par une équipe rythmique qui se tient droit dans ses bottes. Norris ne s’éloigne pas des cadres harmoniques des pièces; Payne fait marcher sa contrebasse au pas; Higgins marque le temps à la cymbale, la seule excentricité qu’il se permet est de ponctuer discrètement à la caisse claire.

Coleman et Cherry refusent de faire table rase du passé. Ils plongent dans les racines du blues et des fanfares de La Nouvelle-Orléans. Ils savent qu’il faut bien connaître les traditions si on veut vraiment s’en détacher un jour.

Mais alors, qu’est-ce qui faisait si peur aux aristos et aux bons bourgeois ?

Primo, le son des instrumentistes: Coleman souffle dans un saxo en plastique, ce qui contraste avec la brillance métallique des formations de l’époque. De son côté, Cherry préfère la trompette de poche, ce qui donne une combinaison sonore inusitée.

Secundo, le jeu des camarades. Même s’ils ne jouent pas n’importe quoi, n’importe comment, Coleman et Cherry utilisent des intervalles originaux qui tentent de s’affranchir des principes harmoniques occidentaux. On a l’impression que les deux hommes – mais Coleman en particulier –  visent la justesse poétique des notes, et non leur justesse harmonique.

Tertio, le rythme. Encore une fois, Coleman étonne en jouant au chat et à la souris avec le tempo par des silences inattendus, des hésitations ou des accélérations qui procurent une folle beauté et une étrange allégresse aux lignes mélodiques qu’il développe.

Mais qui a dit que la Révolution devait être triste et laide ?

Something Else!!!! n’est pas le soir du Grand Soir. Mais alors cette Révolution ? Elle éclatera deux ans plus tard lorsqu’une bande de joyeux sans-culottes, menée par le citoyen Coleman, enregistrera un petit brûlot nommé Free Jazz. Alors, là, vraiment, plus rien ne sera comme avant.

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Le Top 50 de Frank (no 41): Ornette Coleman, Something Else!!!! The Music of Ornette Coleman

Étiquette: Contemporary

Enregistrement: Février/mars 1958

Durée: 42:48

Musiciens: Ornette Coleman (saxophone alto), Donald Cherry (trompette), Walter Norris (piano), Don Payne (contrebasse) et Bill Higgins (batterie).