Le Top 50 de Frank (44) : À l’écart de la masse nuageuse

Heureux les citoyens de la bonne ville de Bâle (Suisse) qui étaient présents au Théâtre, ce soir d’avril 2007.

Par François Vézina

Devant eux, le «New Quartet» de Charles Lloyd. Trois trentenaires à la créativité fertile échangent avec un jeune quasi septuagénaire au sommet de sa forme. Tous partagent le rêve du voyage, le goût de l’aventure et une liberté débridée.

Plus de 20 ans après avoir relancé sa carrière, le saxophoniste a conservé sa fraîcheur imaginative et la sûreté de son jeu. Le siècle nouveau n’a pas tari son inspiration.

A l’exception d’un bref hommage à Monk servant d’intro à Sweet Georgia Bright et de la pièce-titre, les musiciens s’envolent pendant plus de 10 minutes pendant chaque morceau. Cette durée leur permet de bien explorer à fond les diverses possibilités des compositions, presque toutes inédites.

L’invitation

La structure des interprétations se ressemble, sous diverses variantes. Au début, un instrumentiste seul s’avance au micro, parfois accompagné par le bruissement d’une percussion. C’est un appel vers les terres lointaines; c’est une invitation à l’écoute.

Ensuite, Lloyd vient s’amuser avec la ligne mélodique. Jason Moran saisit ensuite la note au vol, développant et complétant la pensée musicale du leader, l’amenant parfois vers une nouvelle direction. Sans oublier, bien sûr, la touche pulsative et inspirante de Reubens Rogers et d’Eric Harland.

L’inattendu vient au rendez-vous. Lloyd resurgit en conclusion de Promotheus, son solo charnel apprivoisant un titre plutôt rugueux où les musiciens se sont aventurés à la lisière du free.

Booker’s Garden, un bel hommage au saxophoniste Booker Ervin, est interprété… à la flûte (pour le fantôme d’Eric Dolphy ?). Un doux ailleurs plane sur Ramanujan au cours de laquelle Lloyd joue du tarogato, un instrument d’origine hongrois ressemblant à une clarinette.

Le jeune déjà grand

Le véritable héros de la soirée se nomme Jason Moran. Charles Lloyd a toujours su attirer vers lui de bons pianistes. Après tout, l’homme compte à son tableau d’honneur un certain Jarrett, un dénommé Petrucciani, une dame Allen ou un sieur Meldhau.

Mais, là, il a touché le gros lot. Moran est déjà un grand. Son jeu percussif cadre fort bien avec le jeu sombre de Lloyd. Ses relances efficaces, alliées à une grande connaissance de l’histoire du jazz, un bon sens de l’à-propos et une imagination sans borne, en font un compagnon de jeu idéal.

Le retour de la terra incognita passe par les Caraïbes. Le groupe interprète, en dessert, Rabo de Nube, une superbe composition du Cubain Sylvio Rodriguez. Le voyage se termine calmement, comme si les musiciens revenaient sur la scène suspendus à des filaments de nuages.

Le Top 50 de Frank (no 44): Charles Lloyd, Rabo de Nube

Étiquette: ECM

Enregistrement: 24 Avril 2007

Durée: 75:05 (7 plages)

Musiciens: Charles Lloyd (saxophone ténor, flûte, tarogato); Jason Moran (piano); Reubens Rogers (contrebasse), Eric Harland (batterie, percussions)