Les 51èmes de Frank: la maturité d’une artiste

geri-allenElle en a parcouru du chemin, Geri Allen, depuis les fureurs du M-Base, les Etudes et l’exubérance un peu tapageuse de Twenty One.

Par François Vézina

Cet album, le premier enregistré sous son nom en six ans, trace le portrait d’une musicienne plus sûre et plus mature, dont le discours et l’écriture se sont raffermis au cours des années.

La pianiste de Detroit s’exprime avec une grande détermination et une aisance qui mettent en valeur les richesses harmoniques et rythmiques de son jeu et de ses compositions.

L’album marque les retrouvailles de la pianiste de Detroit avec deux musiciens d’exception, le contrebassiste Dave Holland et le batteur Jack DeJohnette. Tous trois avaient accompagné, une décennie plus tôt, la grande Betty Carter.

L’entente entre les trois est remarquable, comme s’ils avaient continué de partager la même scène. Tous deux, fidèles à eux-mêmes, proposent des pistes intéressantes sans chercher à parasiter la pianiste.

DeJohnette manie les cymbales et les autres éléments de sa batterie avec aisance et décontraction. Holland fait vibrer son instrument de lignes rassurantes et chaleureuses.

Les chansons animées

Chaque chanson a sa propre vie qui peut échapper à ses interprètes originaux. C’est encore plus vrai en jazz. Elle peut se mettre en léthargie, attendant qu’un musicien la réanime en lui donnant des habits neufs.

Un art que maîtrise fort bien notre héroïne et ses preux chevaliers.

Allen peut se réinventer elle-même en proposant une ligne mélodique légèrement dissonante à un motif rythmique bondissant (LWBs House). Ses versions peuvent être à la fois riches d’introspection (Lush Life), d’inventivité sombre (Dance of the Infidels) ou d’une élégance apaisante (Soul Eye, la seule qui est enrichie de trois souffleurs).

Pour vivre, il faut naître. Allen propose sept pièces inédites, tout aussi captivantes les unes que les autres. Elle peut aussi bien s’inspirer du gospel (In Appreciation: A Celebration Song), du r&b (Black Bottom) ou de Herbie Hancock (The Life of a Song).

Allen accepte sa part de risque. Si elle laisse sa main droite s’échapper vers des envolées folles aux accents lyriques, elle est aussi capable de faire preuve de retenue et de prendre le temps d’explorer les divers chemins qui s’ouvrent devant elle.

La pianiste donne parfois l’impression de se restreindre, comme si elle savait qu’une démonstration de virtuosité romprait l’équilibre toujours fragile des chansons et en briserait le charme.

C’est ce qu’on appelle la maturité.

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Les 51èmes de Frank: Geri Allen, The Life of A Song

Maison de disques: Telarc

Enregistrement: 16 et 17 janvier 2004

Durée: 63:30

Musiciens: Geri Allen (piano), Dave Holland (contrebasse), Jack DeJohnette (batterie) + Marcus Belgrave (trompette), Dwight Andrews (saxophone), Clifton Anderson (trombone)