C’était le 10 mars 2008. Dans le Waldorf-Astoria de New York. Jerry Butler, des Impressions, chantait Any Day Now que j’avais découverte à l’adolescence sur l’album From Elvis In Memphis. Je me disais que je rêvais. Ce soir-là, en toute honnêteté, j’ai souvent rêvé tout éveillé.
Par Philippe Rezzonico
Il s’agissait alors de la 23e cérémonie d’intronisation du panthéon de la renommée du Rock and Roll. Avec les confrères Alan De Repentigny et Mark Lepage, nous formions un trio de journalistes de Montréal dépêchés dans la Grosse pomme en raison de l’intronisation du légendaire Leonard Cohen à ce cercle d’excellence.
Et comme un bonheur ne vient jamais seul, c’était aussi l’année où John Mellencamp, Madonna, les Ventures, le Dave Clark Five et les fondateurs du Philly Soul, Leon Huff et Kenny Gamble, faisaient leur entrée par la grande porte.
Pour quiconque ayant lu sur ces soirées d’intronisation mémorables sans jamais avoir pu y assister, l’événement était de taille. Il faut savoir que chaque nouveau membre ou groupe a le choix des armes : il peut lui-même jouer les compositions qui l’ont mené à l’immortalité ou demander à ses pairs de le faire.
Dans la grande salle de bal de l’hôtel centenaire, on retrouve le même genre de convivialité qu’aux Golden Globes qui auront lieu ce week-end (tout le monde assis autour de grandes tables), mais dans un mélange de genres encore plus marqué : Iggy et ses Stooges pour chanter les chansons de Madonna ? Pourquoi pas. Billy Joel, le piano man de New York, qui intronise Mellencamp, le rockeur du Heartland ? Bien sûr. Et quel discours de Joel…
Soirée sans paravent, donc. Ce sont les proches, les héritiers ou les contemporains qui ont quelque chose à dire et à offrir qui viennent saluer leurs potes. Cohen avait eu droit rien de moins qu’à Lou Reed pour l’introniser. Et Damien Rice avait chanté une version sublime de Hallelujah avant que l’on décrète un moratoire sur cette chanson.
D’entendre en direct The Ventures jouer Walk – Don’t Run et l’hymne de plage qu’est Hawaii 5-0 dans cet hôtel 12 étoiles face à des nœuds papillon, c’était génial. Mellencamp nous avait offert un set de plus d’une demi-heure ! On était loin des deux ou trois chansons d’usage. Et les membres du Dave Clark Five ont eu droit à la totale. Leur classique Glad All Over interprété en finale par Joel, Mellencamp, John Fogerty et Joan Jett. Rien que ça…
C’est là que je me suis dit qu’il serait temps de mettre en marché un témoignage sonore de ces soirées, comme on l’avait fait en 1996 pour le spectacle d’ouverture du musée du panthéon. Souhait exaucé.
Survol exemplaire
De la première cérémonie il y a plus de 25 ans jusqu’aux plus récentes soirées à New York, The Best of Rock and Roll Hall of Fame + Museum Live regroupe 51 chansons interprétées lors des intronisations, dont plusieurs n’ont jamais été entendues auparavant. La cérémonie n’était pas télédiffusée dans ses premières années et elle ne le fut que sur la chaîne spécialisée VH1 par la suite.
Entre les artistes qui ont joué leurs propres tubes, ceux qui ont opté pour une reprise pour saluer l’arrivée d’un nouveau géant et ceux qui ont décidé de s’éclater sur des classiques, ce coffret de trois disques est un Who’s Who du Rock and Roll.
Sans surprise, le type le plus présent ici est Bruce Springsteen. Normal, son E Street Band a souvent été le band d’appoint (house band) dans ces sauteries du panthéon, surtout quand vient le temps de seconder les pionniers. Ici, le E Street sauve brillamment la mise à Chuck Berry (un peu bourré) pour l’hymne national du Rock and Roll (Johnny B. Goode), offre à Wilson Pickett (In the Midnight Hour) un soutien de rêve et casse la baraque sans aide (Tenth Avenue Freeze-Out, The Promised Land). Mais c’est quand Bruce rejoint U2 pour I Still Haven’t Found What I’m Looking For que l’on touche au grandiose.
Sentiment similaire quand Al Green transporte A Change Is Gonna Come de Sam Cooke dans la stratosphère. Les successeurs se défoncent toujours quand vient le temps d’interpréter leurs influences. Green Day est impérial avec Blitzkreig Bop des Ramones, autant que Metallica l’est avec Iron Man, de Black Sabbath.
On s’entend… James Brown (I Got You (I Feel Good)), Paul McCartney (Let It Be), Jackson Browne (Running On Empty), Billy Joel (Only the Good Die Young), John Fogerty (Born On the Bayou), Cream (Sunshine of Your Love, Crossroads), ZZ Top (La Grange) et The Kinks (All Day and All of the Night) – décapant ! – sont tous à la hauteur de leur réputation, mais ce sont les collaborations qui font l’événement.
Substituts et collectifs
Parfois même quand certains se substituent aux grands disparus. Si les Doors survivants veulent faire une tournée avec Eddie Vedder, je signe tout de suite. Méchantes versions de Break On Through et Roadhouse Blues. Dave Grohl est déchaîné avec les autres membres de Queen pour Tie Your Mother Down et le Beck’s Bolero se transforme en un classique de Led Zeppelin, gracieuseté de Jimmy Page.
Il y a aussi des collectifs à faire peur. While My Guitar Gently Weeps est privée d’Eric Clapton, mais Tom Petty, Jeff Lynne, Steve Winwood et Prince – rien de moins! -, font sérieusement le travail. Ça vous tente d’entendre I Saw Her Standing There avec un Beatle qui n’est pas Paul, le Rolling Stone en chef et le Boss ? On un Beach Boy (Mike Love) changer Statisfaction avec Mick Jagger ? Vous avez tout ça.
Mais sur ce plan, rien ne touche à la livraison du classique rockabilly The Train Kept A-Rollin’ : Metallica au grand complet avec un Yardbirds (Jeff Beck), un Led Zep (Jimmy Page), un Stones (Ron Wood), un Aerosmith (Joe Perry) et Flea, des Red Hot Chilli Peppers. Monstrueux.
Il y en a pour plus de trois heures de plaisir de ce calibre avec Fleetwood Mac, The Who, Eric Burdon, Bon Jovi, James Taylor et compagnie. Bémol: on aurait préféré un livret plus documenté. Correct pour la mise en contexte de Michael Hill, mais on ne précise pas de quelles cérémonies d’intronisation (1986, 1992, 1998, 2004 ?) les interprétations sont tirées. On peut le déduire selon les années d’intronisation de X ou Y, mais on aurait pu peaufiner tout ça.
Bon… Faut quand même pas se plaindre. Après tout, j’ai droit aux Glad All Over et Pink Houses que j’ai entendues dans le Waldorf-Astoria il y a quatre ans.