Marvel Comics: la vraie histoire vue des coulisses

Captain America: The Winter Soldier, The Amazing Spider-Man 2 et X-Men: Days of Future Past. Comme par les années passées, de nombreux super-héros liés aux illustrés de Marvel Comics déferleront sur le grand écran en 2014 et permettront vraisemblablement à l’industrie cinématographique du blockbuster américain de faire ses frais au box-office.

Par Philippe Rezzonico

Il est étonnant de constater à quel point ce cinéma de genre est devenu une panacée pour le septième art, d’autant plus vrai quand on sait à quel point le neuvième art – celui lié à la frange américaine de la bande dessinée – a eu du mal à survivre avant de s’imposer comme une sous-culture. Il est donc temps de lire (ou relire) Marvel Comics : The Untold Story (Harper).

Ceux qui n’ont jamais été des assidus des aventures des personnages de Marvel sont désormais familiers avec eux, ne fut-ce qu’en surface, en raison du nombre considérable de films réalisés depuis plus de deux décennies.

Les férus du genre, pour leur part, ont lu par l’entremise de publications spécialisées ou de bouquins des tas d’entrevues qui expliquent la genèse des héros créés par l’auteur Stan Lee et le dessinateur Jack Kirby.

Kirby, le vétéran qui avait créé le Capitain America avec Joe Simon en 1941, a mis en images tous les personnages nés de l’imaginaire de Lee dès 1961 : Fantastic Four, Hulk, Thor, X-Men, Iron Man, The Avengers (Ant-Man, The Wasp), Daredevil, Nick Fury. Seuls Spider-Man et Doctor Strange étaient dessinés par Steve Ditko.

L’auteur Sean Howe nous montre toutefois l’envers du décor, où comment un dénommé Martin Goodman – qui était déjà l’éditeur de Timely Comics lors de la parution de Marvel Comics 1, en 1939 – a mis sur pied ce qui allait devenir des années plus tard l’univers Marvel.

L’installation bancale dans les petits bureaux logés sur Madison Avenue à New York, l’embauche de Lee avant la guerre, la crise des comics des années 1950, les problèmes de distribution, les congédiements, puis, l’explosion avec la naissance des Fantastic Four. Tout ça, vu de l’intérieur.

Les guerres internes

Plus fascinant encore – c’est l’essence du bouquin de plus de 400 pages – , cette relation entre créateurs. Ou parfois, l’absence de… On présume que les auteurs et les dessinateurs devaient obligatoirement être de grands amis, non? Saviez-vous qu’entre le 18e numéro d’Amazing Spider-Man et le dernier exemplaire dessiné par Ditko (le 38e, près de deux ans plus tard), Lee et Ditko ne se sont pas adressé la parole une seule fois…

Ditko dessinait chez lui, il revenait déposer les pages terminées au bureau et repartait chez avec le script non finalisé de Lee. Le procédé a d’ailleurs forcé Lee à admettre que ses dessinateurs (Kirby et Ditko) rédigeaient eux-mêmes une bonne partie de « ses » textes. Ce fut un élément qui a irrité au plus haut point Kirby durant des années.

Ce même Spider-Man a d’ailleurs failli vivre que le temps d’un seul numéro (Amazing Fantasy 15), Goodman ayant détesté cette création de Lee. Heureusement, le courrier des lecteurs a sauvé la toute jeune araignée. Mais ça explique pourquoi le premier numéro d’Amazing Spider-Man n’est apparu qu’en 1963, des mois plus tard.

À travers les luttes de pouvoir internes, on voit comment Marvel survit après le départ de Ditko des pages de Spider-Man (John Romita lui succède avec panache), et surtout, après le départ de Kirby en 1970. Ce départ oblige Lee à trouver des successeurs pour les dessins de quatre ou cinq séries, mais aussi au scénario, « Stan the Man » ne pouvant plus écrire toutes les histoires en raison de ses autres responsabilités.

Au fait, sous saviez que Lee – qui est fou de cinéma – avait cosigné un scénario de film avec le célèbre cinéaste Alain Resnais qui n’a jamais vu le jour?

Les années 1970 vont apporter leur lot de turbulences chez Marvel. Lee avait implicitement donné le feu vert à Gerry Conway, Roy Thomas et Gil Kane de tuer Gwen Stacy, la blonde de Peter Parker (Spider-Man). Mais jamais n’avait-il prévu l’ire des lecteurs. Il s’est fait traiter de meurtrier. Rien de moins.

Nous étions à l’époque où les histoires de drogues (dans Green Lantern chez DC et Spider-Man), des super-héros noirs (Black Panther, Falcon) et des êtres de la nuit (Dracula, Frankenstein) étaient légions. Marvel avait tissé des liens payants avec la franchise des Star Wars, mais aussi connu des catastrophes avec Howard the Duck.

On vit aussi la relance des X-Men avec l’auteur Chris Claremont et le dessinateur Dave Cockrum. Ce dernier sera remplacé assez tôt par John Bryne, ce qui mènera à une autre guerre à l’interne. Cockrum aura emmerdé Byrne jusqu’à la fin, en dessinant lui-même plusieurs pages couvertures alors que Byrne illustrait déjà les pages à l’intérieur.

L’une des plus importantes décisions de Stan Lee, celle de nommer son successeur au poste de rédacteur en chef à la fin des années 1970, a profondément bouleversé l’univers Marvel. Jim Shooter, qui n’avait pas 30 ans, a fait suer au centuple les scénaristes et les dessinateurs. Parfois, pour le mieux. Tantôt pour le pire.

C’est Shooter qui a imposé à Claremont et Byrne de modifier la finale du X-Men 137, le numéro où meurt Phoenix au terme d’une trame narrative échelonnée sur plus de deux ans. Le duo de créateurs ne voulait pas liquider le personnage.

Le hic, c’est que l’illustré était terminé. Il ne restait qu’à imprimer. Shooter a mis son veto et a forcé Claremont et Byrne à refaire la moitié du comic.

Une autre motivation importante pour le rédacteur était le fait que ce numéro allait être le premier en vente directe chez les magasins spécialisés de comic books.

Il n’y avait pas de marge d’erreur. Et Shooter avait vu juste. Cette conclusion fut un modèle du genre.

Ce ne fut pas le cas avec celle de la saga Miss Marvel dans The Avengers. Cela a mené au départ fracassant du scénariste Marv Wolfman et du dessinateur George Perez pour DC Comcis où ils ont relancé la franchise des Teen Titans, le plus gros succès de DC des années 1980.

Le livre regorge d’histoires de coulisses de ce genre avec l’entrée en bourse de Marvel et le règne des artistes qui allaient fort bien vivre de leur art, contrairement à Jack Kirby qui n’a jamais vu son apport créatif reconnu au plan des redevances.

Byrne, par exemple, touchait en un numéro vers la fin des années 1980, ce que Kirby récoltait en une année. Mais ce n’est rien à côté de la fortune amassée par Todd McFarlane, qui, après avoir relancé Spider-Man, a quitté pour fonder sa propre compagnie (Image Comics), en gardant avec lui tous les droits des produits dérivés.

Quant à Kirby, sa succession a encore essuyé un revers en cour américaine l’an dernier. Imaginez combien d’argent ses descendants pourraient toucher en regard du film de Captain America qui sort sur les écrans ce week-end… Le film va récolter des dizaines de millions de dollars aux guichets.

En lisant Marvel Comics : The Untold Story, franchement, on se dit que certaines des histoires de coulisses ont été aussi invraisemblables que celles, publiées, qui visaient à distraire les enfants.

Sean Howe, Marvel Comics : The Untold Story (Harper), 2012