Osheaga, Jour 2: Beckologie, soeurs jumelles et show bancal

Beck. Attention, génie musical à l'oeuvre! Photo Catherine Lefebvre.

L’appellation « génie » est trop souvent galvaudée dans le monde de la musique. Mais pas quand il s’agit de Beck. Le petit génie des années 1990 aux allures d’éternel adolescent en dépit de ses 43 ans nous l’a rappelé avec brio, samedi, en clôture de la deuxième journée d’Osheaga.

Par Philippe Rezzonico

Non seulement Beck a-t-il donné un spectacle supérieur à celui présenté au théâtre Saint-Denis en 2008, mais sa prestation était un véritable cours d’histoire et de maîtrise instrumentale. Et ce, sans mettre de côté les succès qui ont fait sa renommée.

Preuve à l’appui, il a amorcé le spectacle en enchaînant Devil’s Haircut et Black Tambourine, deux de ses meilleures chansons pourtant issues de décennies différentes. Maintenant qu’il a 20 ans de carrière derrière lui, Beck peut, plus que jamais, jouer à saute-moutons avec ses chansons tirées d’albums de facture sonore variées.

Il fallait le voir laisser partir ses musiciens et interpréter One Foot to the Grave, uniquement muni de son harmonica, dès la quatrième chanson. La foule s’est chargée de battre la mesure.

Il fallait surtout le voir lier des chansons du passé aux siennes, comme si tous les titres avaient été composés par une seule et même personne. Beck livre ainsi Tainted Love, le tube repris par Soft Cell dont la première interprète fut Gloria Jones en 1964, et il le lie à sa propre Modern Guilt avec une telle aisance qu’on jurerait que la ligne rythmique est identique. Fascinant.

Beck et ses musiciens: cohésion totale. Photo Catherine Lefebvre.

Il refait le coup derechef en interprétant sa chanson Think I’m In Love, qui, quand elle se termine en portion instrumentale, devient I Feel Love, de Donna Summer, comme si c’était la chose la plus naturelle au monde. Et de dire de sa version de Billie Jean qui a des affinités sonores avec Sissyneck. Du tonnerre.

Mais Beck a ses propres bombes et nous n’avons pas été en reste. Durant Hotwax, une jeune fille était dressée debout en équilibre très instable sur les épaules de son ami, un parapluie à la main. Il s’agissait d’une version contemporaine musicale de Mary Poppins version Indie rock, n’en doutez pas.

Beck a aussi su être placide avec les touchantes The Golden Age, Lost Cause et Everybody’s Got to Learn Sometimes, des Korgis, alors que les feux d’artifices de La Ronde battaient leur plein à 500 mètres de nous.

Devil's Haircut, Gamma Ray, Loser, Hotwax, Where It's At: La déferlante de succès. Photo Catherine Lefevbre.

En passant, chapeau au réalisateur qui filmait le spectacle pour la retransmission sur les écrans géants. L’idée de mettre en superposition le visage de Beck et les feux d’artifices relevait de la pure beauté artistique.

Et à 35 pieds de la scène (où j’ai passé les trois quarts du spectacle avec les copines Sylvie et Marie-Line), c’était l’éclatement total sur le funk de Gamma Ray, le groove de Loser – amorcée avec une cithare – et l’éclatement sonore de Where It’s At. Pop, rock, blues, folk, soul, funk, électro et hip hop, le génie de Beck n’a pas de limites.

À la fin, tous les spectateurs avaient oublié qu’ils avaient assisté à ce spectacle mémorable sous la pluie persistante.

The Breeders

Quelques heures plus tôt, on renouait avec les sœurs Kim et Kelley Deal des Breeders sur la scène verte, pratiquement sur le même site où les jumelles avaient offert une prestation en 1994. Que le temps passe…. Dans les faits, on était surtout en train de revivre le passage des Breeders au Spectrum en 1993, pour la tournée du disque Last Splash.

C’était d’ailleurs l’intention : interpréter intégralement et en séquence toutes les chansons de l’album qui célèbre 20 ans cette année. Les 50 minutes ont tout juste suffit à la tâche. Deux décennies plus tard, on réalise que les frangines et leurs collègues n’ont pas perdu la touche. Tout compte fait, elles ont peut-être mieux performé qu’il y a 20 ans, la fougue juvénile en moins.

Kim Deal, des Breeders. Photo Catherine Lefebvre

N’empêche, les fans d’antan étaient heureux de réentendre les Cannonball, Divine Hammer et autre Roi, cette dernière toujours charpentée sur un riff aux épices de Led Zeppelin. Personnellement, ce sont les dynamitées Flipside et I Just Want To Get Along qui m’ont ravi. Bref, rien de nouveau – ce n’est pas là qu’il fallait rechercher la nouveauté -, mais ce fut un bloc de 50 minutes empreint de bonne nostalgie.

Le phénomène Tricky

Toujours sur la même scène, 90 minutes plus tôt, Tricky a offert l’une des prestations les plus singulières qui soit. Le Britannique originaire de Bristol que l’on avait découvert avec Maxinquaye (ou au sein de Massive Attack) dans les années 1990 ne semblait pas trop intéressé à être sur place.

Après deux ou trois minutes d’une instrumentale qui reprenait la mélodie de Sweet Dreams, des Eurythmics, Tricky marque un temps d’arrêt. Dix secondes plus tard, il reprend. Quelle chanson? Pas eu le temps de l’identifier. Un autre arrêt après 30 secondes.

Tricky, l'imprévisible. Photo Catherine Lefebvre.

Et on relance. Là, sa chanteuse-choriste se lance à fond dans Ace of Spades, de Motörhead. Tellement, en fait, que Tricky demeure en retrait. La foule est sur le qui-vive. Va-t-on vivre un autre événement k-os (qui a quitté la scène vendredi après quelques minutes)? Quand ça fait dix minutes que l’artiste est sur scène et qu’il a tenu plus souvent son verre de boisson à la main que son micro, c’est inquiétant.

Puis, Tricky dit à la foule. « Montréal, n’aie pas peur » et invite les spectateurs sur scène. Plus d’une vingtaine acceptent l’invitation et ils transforment les planches en discothèque. Tricky, lui, se contente de montrer ses pectoraux sous son t-shirt à toutes les 30 secondes, mais au moins, l’énergie y est. On voit même Elvis et son flamand rose se déchaîner au parterre…

Et c’est finalement ça, le truc de Tricky : faire travailler les autres à sa place. Sa chanteuse, son groupe, et la foule : tout le monde y met du sien. Lui, il y va de quelques phrases et d’une poignée de titres connus.

Le party spontané de Tricky. Photo Catherine Lefebvre

Mais au moins, il se démène avec deux micros. Finalement, sa phrase-clé serait « deux microphones et une foule enjouée », par opposition à Beck qui a besoin de « deux tables tournantes et d’un micro ». On aura droit à une version archi longue mais bien sentie de Nothing Matters avec un retour des spectateurs sur scène.

Bancale, mais néanmoins jouissive au plan festif, cette prestation s’est terminée après l’heure imposée… quand on a coupé l’amplification sonore à Tricky. Le pauvre. À ce moment, il ne voulait plus quitter la scène.