Avant même d’arriver à la tente de presse, à 14h30, j’avais compris. Non, ce n’était pas Dawes que j’entendais en provenance de la scène de la rivière, mais bien The Damn Truth. On reconnait la voix caractéristique de Lee-la Baum à des kilomètres. Le jour 2 d’Osheaga a réservé sa part de surprises et des coups d’éclats.
Par Philippe Rezzonico
Si the Damn Truth jouait en lieu et place de Dawes, c’est parce que les Américains avaient été réquisitionnés pour jouer à 16h30, à la place de George Ezra, qui a fait faux bond aux organisateurs pour des «problèmes de déplacements», la phrase la plus entendue dans la tente de presse ce week-end.
Tout comme Lil Uzi Vert, d’ailleurs, qui était attendu à 19h30 (une importante case horaire) sur la plus grande scène du festival. La même case horaire qui, au départ, était dévolue à Solange qui s’était désistée vendredi matin. Que se passe-t-il? Personne ne veut se produire sur la plus importante scène du festival Osheaga un samedi soir?
Cela dit, comme le veut le dicton, les absents ont toujours tort. Appelés au pied levé, les membres montréalais de The Damn Truth ont, comme d’habitude, mis leurs tripes sur la table. Au fond la caisse avec un rock crasseux et puissant avec, dans le lot, une reprise de calibre atomique de Love is Blindness, de U2.
Éclatante Jaïn
Tout de suite après, c’était l’explosion pop avec Jain. Seulement appuyée par sa boîte à musique qui contient beats, échantillonnages et autres trucs préenregistrés, la Française a charmé devant une marée de monde qui avait le désir de s’éclater sous le soleil après les trombes d’eau de la veille.
Mr Johnson, Hope, Heads Up ont défilé dans nos oreilles avec, en arrière-plan, des vidéos aux formes géométriques multicolores. Un océan de couleurs qui tranchait avec la tenue de la chanteuse et son ensemble noir à col Claudine qui rappelait les jeunes filles modèles d’un autre siècle.
Pour le 200e spectacle de sa tournée, la jeune Française qui chante en anglais a maintenu le contact avec la foule qui n’a pas manqué de «jumper», comme elle dit, sur son succès international Come. Elle a même salué la participation des festivaliers avec un «c’est écœurant!» typiquement québécois.
Dynabeat, Imposter Gadget et Makeba, hommage à la grande Miriam, ont complété le tableau. Un seul bémol : la plupart des jeunes français qui chantent en anglais de nos jours – comme Christine and the Queens – s’expriment sans accent, aucun. Ici, Jain semble sortie de la France dans années 1970. Ça fini par agacer l’oreille.
La rock n’roll star
Pourquoi – quand les organisateurs ont su que Solange ne sera pas là – a-t-on donné sa case à Lil Uzi Vert, qui était prévu sur la scène verte à 17h40? Je me dis que ça n’aurait pas été une vilaine idée d’installer Liam Gallagher à 19h20 sur la scène de la rivière plutôt que sur la scène de la montagne à 16h55.
Je comprends, il y avait un risque, comme il y a toujours un risque avec l’un ou l’autre des frères Gallagher. Il y a trois jours, à Chicago, Liam a quitté la scène après 20 minutes. Plus de voix, disait-il. Que nous réservait-il à Montréal?
Autour de l’instrument de son claviériste, il était inscrit sur une banderole : « rock n’roll ». On avait compris le message. Et les musiciens ont pris place sur la version studio de Fuckin’ in the Bushes. Quant à Gallagher, vêtu d’un parka, il s’est amené sur scène en applaudissant la foule – bon signe – avant d’amorcer une vibrante version de Rock N’Roll Star. Pas de doute, Liam est encore la vedette qu’il prétend être quand il le veut.
Tout le monde sait que le cadet des Gallagher fait la tournée des festivals d’été afin de faire la promotion des nouvelles compositions de son disque à venir à l’automne (As You Were). Sur ce plan, il a été plus aventureux que son frère Noel l’an dernier à Montréal. Même en festival, Liam a enchaîné les nouveaux titres comme Wall of Glass (très solide), Greedy Soul (super rythmique), Bold (voix très en avant, du Oasis pur jus) et You Better Run (genre brûlot.)
Blagueur avec la foule, toujours avec sa pose caractéristique au micro, Liam a demandé deux fois s’il y avait des amateurs d’Oasis. Cette question… Il leur a fait plaisir avec des interprétations mordantes de Morning Glory, de Slide Away et une finale avec un doublé formé de Be Here Now et de Wonderwall, acoustique, ce qui a permis à des milliers d’amateurs de l’accompagner. Sa réaction?: « You’ve been amazing, Montréal !».
Une des belles surprises de la journée.
L’ouragan
Avec Cage the Elephant qui suivait Gallagher, on a eu la preuve que le rock n’roll n’est pas encore mort. En 50 minutes, la bande à Matt Shultz a balayé le site comme peu de groupes peuvent le faire.
Le groupe a été aussi incendiaire que lors de son dernier passage au Centre Bell, mais en raison de la durée de sa prestation, les boys ont balancé succès par-dessus succès : Cry Baby, Too Late to Say Goodbye, Ain’t No Rest for the Wicked, Shake Me Down et Come a Little Closer, notamment.
Toutes chantées l’unisson par des milliers de fans en regardant Schulz sauter comme un beau diable sur scène. Une énergie folle et un abandon total pour le groupe dont l’avion s’est posé à Montréal… 30 minutes avant le début de leur spectacle. Le meilleur concert du festival jusqu’ici, à égalité avec Justice la veille.
Au fait… Programmer Broken Social Scène sur la scène d’en face juste après Cage the Elephant, ce n’était pas une bonne idée. Zzzzzz……
Tory Lanez, le sauveur
En revanche, Tory Lanez n’a pas volé la fameuse case de 19h20 sur la scène de la rivière. Le rappeur de Brampton, en Ontario, lui aussi appelé à la rescousse, a mis le feu avec sa fougue, sa voix, un minimum d’instrumentation de ses collègues et une audace pas possible.
Ça ne nuisait pas que les spectateurs connaissent par cœur une foule des chansons du jeune artiste, mais quand tu vas dans la foule pour te faire porter par ces derniers, au bout de leurs bras, tu prends des risques qui sont récompensés au centuple par la frénésie des festivaliers. Le sauvetage de l’année.
Je ne vais faire qu’un seul commentaire pour Major Lazer : c’était vraiment magnifique de voir la folie et le plaisir des gens…
Toutes guitares dehors
Après une – autre – averse qui a retardé l’entrée en scène de Muse d’une dizaine de minutes, mon parcours s’est terminé comme il avait commencé : au son des guitares. Fidèles à leurs habitudes, Matthew Bellamy, Christopher Wolstenhome et Dominic Howard ont proposé un «son et lumières» du tonnerre.
Nous n’avons pas eu droit, en plein air, à l’équivalent de certaines de leurs scènes vues en aréna au cours des ans, mais l’apport visuel fut exemplaire tandis que les nouvelles chansons n’ont pas rougi auprès des classiques du trio anglais.
Dig Down (lourde) et Psycho en début de parcours, Hysteria et Resistance pas loin derrière, Stockholm’s Syndrome et Supermassive Black Hole en milieu de parcours, pour faire le maximum d’effet : le groupe a survolé son répertoire tout en ajoutant des points de repères historiques.
Bellamy et ses collègues adorent conclure ou amorcer leurs chansons avec les lignes de guitares de grandes chansons du passé de AC/DC, Rage Against the Machine et Led Zeppelin, ou bien piger dans le répertoire musical cinématographique (Close Encounter of the Third Kind ou Il était une fois dans l’Ouest). Le sens de l’histoire, comme j’aime dire.
Et en raison du déplacement du festival, cette année, le feu d’artifice de la Ronde pouvait être vu en arrière-plan, derrière la scène. Par contre, on ne maîtrise pas encore toutes les subtilités du nouvel emplacement, car les gros ballons lancés dans la foule vers la fin du spectacle ont aussitôt quitté le parterre en raison du sens du vent. N’empêche, c’était une finale digne de cette journée pleine de surprises.