A Boy From Tupelo: l’héritage inestimable d’Elvis Presley

Elvis-A Boy From Tupelo-CoffretLe Danois Ernst Mikael Jorgensen a entrepris en 1992 la revitalisation – et même la réhabilitation – du répertoire d’Elvis Presley avec le coffret Elvis Presley : The King of Rock’ n’Roll – The Complete 50’s Masters. Vingt-ans plus tard, en cette année du 40e anniversaire du décès du roi, on peut dire qu’il boucle la boucle avec Elvis Presley : A Boy From Tupelo – The Complete 1953-1955 Recordings.

Par Philippe Rezzonico

Bien sûr, le coffret de cinq disques de 1992 comprenait déjà la totalité des enregistrements d’Elvis gravés chez Sun Records de 1953 à 1955, mais pas tous renumérisés pour le format compact à l’aide des bandes maîtresses. Il n’y avait pas tous les enregistrements officieux, ni les prises additionnelles, pas plus que la totalité des enregistrements en concert de la période.

On peut arguer que le « complete » de 1992 ne l’était pas tout à fait, mais le nouvel objet mérite le qualificatif de « définitif » et s’avère aussi important au plan historique que ne l’était celui d’antan. Confectionné à partir d’enregistrements diffusés à satiété au cours des décennies, d’inédites et de raretés, A Boy From Tupelo a le mérite de regrouper en chronologie toute la production musicale d’Elvis quand il était âgé de 18 à 20 ans.

Les démos

Pour commencer, on retrouve les quatre chansons gravées d’Elvis avant ses débuts officiels, en 1953 et 1954, qui ont été diffusées bien après sa mort aux hasards de rééditions de disques et de coffrets : My Happiness (The Great Performances, 1990), That’s When Your Heartaches Begin (The King of Rock ‘ n’Roll, 1992), ainsi que I’ll Never Stand In Your Way et It Wouldn’t Be the Same Without You (Platinum : A Life In Music, 1997).

Entendre en succession ces enregistrements payés de la poche d’Elvis démontre – peut-être plus que jamais -, le potentiel vocal du jeune homme qui, s’il avait échappé quelque peu d’entrée de jeu à Sam Phillips, était une évidence pour sa fidèle adjointe Marion Keisker, qui a toujours encouragé Elvis à revenir frapper à la porte du 760 Union Avenue, à Memphis. D’ailleurs, après les premiers enregistrements du jeune homme en 1953, Keisker avait écrit dans ses notes personnelles : « Good ballad singer. Hold. »

Bref, Elvis a effectivement offert en cadeau l’enregistrement des deux premières chansons à sa mère, quoique peut-être pas « pour son anniversaire », comme le veut la légende. Le but premier était de ce faire découvrir. Pour prevue, Elvis a enregistré My Happiness/That’ When Your Heartaches Begin en juillet 1953. La date d’anniversaire de sa mère Gladys était le 25 avril…

Les bandes maîtresses

Les 18 chansons gravées professionnellement par Elvis chez Sun Records, des premières sessions d’enregistrement du 5 au 7 juillet 1954 (Harbor Lights, I Love You Because et That’s All Right), jusqu’à la dernière, du 1er au 5 novembre 1955 (When It Rains It Pours – rebaptisée When It Rains It Really Pours sur l’enregistrement de 1957 chez RCA) suivent dans l’ordre. Notons qu’il existe deux versions de I’m Left, You’re Right, She’s Gone, avec tempos différents.

Tout amateur d’Elvis qui se respecte possède ces chansons sous une forme quelconque. Dix d’entre elles sont parues chez Sun Records en 1954 et en 1955, les autres étant parues sur divers albums, dès 1956, après que RCA Victor ait racheté le contrat d’Elvis.

Étonnamment, ces chansons n’ont pas pris une ride, contrairement à bien des titres d’Elvis parus par la suite. That’s All Right a encore sa fraîcheur de jeunesse, Blue Moon of Kentucky et Good Rockin’ Tonight ont conservé toute leur urgence, Mystery Train n’a pas perdu une once de mystère, Blue Moon est toujours aussi intense et Baby Let’s Play House, pour ses paroles osées et le solo fiévreux de Scotty Moore, demeure, pour l’éternité, la meilleure chanson jamais enregistrée par Elvis, toutes périodes confondues.

Bien mieux, les effluves country, bluegrass, gospel, boogie et western swing qui colorent ces compositions baignent dans les mêmes eaux que des tas de chansons de jeunes groupes populaires d’aujourd’hui, tels Mumford and Sons, Alabama Shakes et Lady Antebellum, pour ne nommer que ceux-là. L’héritage d’Elvis, le seul qui compte vraiment, celui de la période Sun, et non pas celui des dernières années de Las Vegas, des livres en trop et des infâmes costumes à paillettes… Cet héritage, il est toujours vivant. Il suffit de le redécouvrir.

Si vous n’avez pas la première compilation de RCA en version vinyle (The Sun Sessions, 1976) ou la meilleure compil en format CD (Elvis at Sun, 2004), vous pouvez vous rabattre sur le nouveau 33 tours Elvis Presley, A Boy From Tupelo : The Sun Masters. Il faut admettre, ça fait tout drôle de voir un « nouveau » vinyle d’Elvis en 2017…

Elvis-A Boy-VinyleLe premier disque compact du coffret se termine avec quelques bandes maîtresses des versions 45 ou 78 tours parues chez RCA Victor. Peu de gens se souviennent que le géant américain a mis en marché des 78 tours des titres d’Elvis gravés chez Sun avant de les inclure sur les premiers 33 tours de 1956 et de 1957 (Elvis, Elvis Presley, A Date With Elvis, etc).

Le directeur des ventes chez RCA, John Burgess, avait initié la réimpression des quatre premiers 45 tours de Sun Records dès le mois de décembre 1955, quelques semaines avant que le contrat liant Elvis à Sam Phillips n’expire. À ce moment, le cinquième single d’Elvis pour Sun (I Forgot To Remember To Forget/Mystery Train) s’écoulait à 3700 exemplaires par jour. La version de Tomorrow Night, au tempo ralenti, qui clôt le premier compact, est rien de moins que splendide.

Le travail en studio

Le deuxième disque s’adresse vraiment aux inconditionnels avec 26 prises rares ou inédites. On est vraiment en studio avec Elvis, Scotty et Bill Black. À l’époque, tout était enregistré en une prise. On se trompait? On recommençait. Une dizaine de chansons s’y trouvent. Départs ratés, ajustements sonores, premières prises encore pas assurées, coupures, commentaires… Bref, la vie en studio comme elle se vivait à ces temps immémoriaux.

Éclats de rire au terme de la dernière prise de Harbor Lights, quand quelqu’un échappe quelque chose sur le sol; premières prises – historiques – de That’s All Right, où l’excitation est palpable dans la voix d’Elvis; version lente de Blue Moon of Kentucky au terme de laquelle Phillips s’exclame : « Wow, man! C’est différent. C’est maintenant une chanson pop. C’est bon », à titre comparatif avec la version d’origine de Bill Monroe.

On retrouve également des enregistrements, disons, pas officiels, quand la console enregistre nettement la guitare de Scotty, mais que la voix d’Elvis est en arrière-plan. Ça mène néanmoins aux délices de How Do You Think I Feel qui allait être mise en boîte formellement en 1956 et à When It Rains It Pours (prises 2 à 4). Comme quoi, en dépit du changement de compagnie de disques, on respectait une certaine continuité.

Sur scène

L’Amérique avec un grand A a découvert Elvis lors de ses passages à la télévision naissante (The Dorsey Bros. Stage Show, The Milton Berle Show, The Steve Allen Show, The Ed Sullivan Show, la-la-lè-re…), mais celui qui allait avoir droit au surnom The Pelvis n’a pas attendu ce moment pour déchaîner les foules.

Les 32 titres qui forment le troisième disque survolent ses apparitions sur scène depuis son premier concert au légendaire Louisiana Hayride, à Shreveport (16 octobre 1954), jusqu’à celui du 29 octobre 1955. Entre les deux, on peut entendre Elvis et ses collègues lors de passages à des festivals à Houston et à Gladewater (Texas), ainsi qu’à Meridian, au Mississipi, ou lors d’apparitions à des émissions de radio à Lubbock (Texas) et à Florence (Alabama).

La foule de jeunes femmes, déjà fort enthousiaste lors de la première apparition d’Elvis à Shreveport en 1954, s’enflamme en janvier 1955 et se déchaîne au mois de mars, au fur et à mesure que la légende se forge.

Outre les chansons gravées à l’époque, le public du sud des États-Unis découvre des chansons qu’Elvis allait enregistrer chez RCA, comme Shake Rattle and Roll, Money Honey et I Got A Woman, dont on entend vraisemblablement ici quelques-unes des premières versions interprétées sur les planches. Et même d’autres qu’Elvis n’allait jamais officiellement graver en studio : Fool, Fool, Fool, Hearts of Stone, Tweedlee Dee, Little Mama ainsi que Maybellene, de Chuck Berry. Ce document sonore est inestimable en dépit de la qualité variable des enregistrements.

Le livre

Qu’offre-t-on quand on concocte un coffret d’Elvis qui intéressera au premier chef, ses fidèles de longue date? On accompagne la musique d’un livret – ici, rien de moins qu’un livre de 120 pages – d’une qualité exceptionnelle.

Je n’ai jamais vu une parution liée à Presley où il y a tant de photos que je n’avais jamais vues. Le bouquin se veut aussi un journal de bord où chaque session d’enregistrement et spectacle est répertorié. Le tout, farci de commentaires d’observateurs de l’époque et écrit de la main de maître de Jorgensen. Sincèrement, le livre a lui seul justifie l’achat du coffret.

C’est tout simple. Vous achetez ça pour vous en format physique – c’est le but – ou pour un ami plus jeune, ou pour vos enfants qui aiment bien les groupes que j’ai nommés plus haut et vous installez ce coffret dans votre collection, tout en haut, à l’extrême gauche de votre bibliothèque. Car c’est là que tout a commencé…