« Il faut que ça nous tente, n’est-ce pas? » La dame plus âgée que moi qui m’a fait ce commentaire, dimanche après-midi, ne pensait pas si bien dire. Il fallait être des amoureux sans bornes… Des inconditionnels de la musique sous toutes ses formes pour être au Mile Ex End Musique Montréal, dimanche.
Par Philippe Rezzonico
Pluie fine ou pluie battante, bourrasques de vent, mercure abyssal pour la saison : la météo était tout simplement atroce pour cette deuxième journée de l’événement/festival de fin de semaine dont le point de convergence se trouvait sous le viaduc Van Horne.
C’était justement sous le viaduc que la dame m’a fait le commentaire auquel j’ai acquiescé. Nous étions déjà devant la scène principale qui allait accueillir Suzanne Vega dans quelques minutes, histoire de trouver le meilleur emplacement.
Tout juste devant la scène, nous étions sous la flotte. Ça ne va pas. Sur le flanc droit, aussi. En raison de la présence d’une courbe sur le viaduc au-dessus de nos têtes, l’endroit idéal pour se placer, ma foi, c’était à une quinzaine de pieds de la scène… left of center. Beau hasard, quand même.
Left of Center, c’est, bien sûr, l’une des chansons les plus emblématiques du répertoire de Suzanne Vega, quoique pas enregistrée sur l’album phare Solitude Standing que l’Américaine venait nous interpréter en entier et en séquence pour la première fois de cette tournée du 30e anniversaire. Ça aussi, c’était une autre excellente raison de prendre le risque de se faire mouiller…
Et la magnifique quinquagénaire est entrée tout de suite dans le vif du sujet après son arrivée sur la scène qui dégoulinait d’eau de toutes parts. Elle a interprété Tom’s Diner comme sur l’album : a cappella. Seulement les claquements de doigts venaient soutenir les «tu-du-tu-du» mélodiques à souhait. Vega a même fait un grand geste des bras vers le ciel en interprétant la phrase « …before the rain began.. ». Nous étions dans le moment, comme on dit.
«Vous connaissez la prochaine».
Ça, oui. L’immortelle Luka, très joliment interprétée, classique des classiques où la guitare acoustique de l’auteur-compositrice est venue s’ajouter aux instruments de ses collègues.
Durant une quarantaine de minutes, Vega a enchaîné les titres parus à l’origine sur les faces A et B de son deuxième vinyle. Où sur les premiers disques compacts. Ça dépend de votre support de prédilection… Chansons composées parfois bien avant 1987. C’est vrai pour Tom’s Diner (1981), Luka (1984), ainsi que Calypso et Gypsy, écrites en 1978, quand l’Américaine n’avait que 18 ans.
Le plaisir d’entendre un disque en entier, c’est bien sûr celui de savourer des chansons peu ou jamais entendues sur scène. Autant In the Eye a été vivifiante, autant le doublé formé de Iron Bound/Fancy Poultry ainsi que Night Vision étaient taillées sur mesure pour le temps maussade. Ce disque m’a toujours fait penser à la pluie et, là, nous étions campés dans un décor idéal.
Vega a conservé une bonne voix, son allure de bohème éternelle et elle reste fidèle à ses chansons, même si son disque-fétiche a été gravé à l’époque où les claviers régnaient.
Les enrobages sonores étaient un plus organiques, surtout pour Solitude Standing, dont le tempo était légèrement ralenti en regard de la version d’origine. Après Wooden Horse, le groupe a proposé la version «remixée» de Tom’s Diner. L’album vieux de trois décennies se clôt sur une version instrumentale. Mais pour le spectacle, nous avons eu droit à la version chantée et musclée, avec tous les musiciens, tandis que Vega portait son splendide haut-de-forme.
« C’est la première fois que l’on joue l’album en entier, à l’extérieur, sous la pluie, à Montréal. C’est magnifique! Merci! ».
En boni : une solide version de Marlene On the Wall et – pouvait-il en être autrement -, une interprétation de Left of Center – enregistrée pour les besoins du film Pretty In Pink – en mode basse-voix, quand Vega a partagé la scène avec son bassiste Michael Visceglia, qui était déjà avec elle au moment de l’enregistrement de Solitude Standing.
Après la dernière note, je me suis retourné, mais je n’ai pas revu la dame qui m’avait adressé la parole une heure plus tôt. Dommage. Je lui aurais dit que cette prestation valait vachement la peine de braver les éléments.