Portishead: magistral, d'un siècle à l'autre

La voix est toujours là. Aérienne, d’une justesse remarquable et pénétrante au point de nous transpercer le cœur et l’âme. La chanteuse Beth Gibbons est aussi impériale en 2011 qu’au XXè siècle. Et sur le Quai Jacques-Cartier, vendredi, Portishead a démontré qu’il demeurait un groupe vital qui n’a pas pris une ride.

Par Philippe Rezzonico

On y allait en courant, dans le Vieux. Pensez-y… Nous n’avions pas vu Portishead sur une scène montréalaise depuis avril 1998. Mais on y allait aussi en se disant qu’on ne peut jamais recréer le passé. Bref, espérer que cette performance offerte à l’extérieur puisse approcher la prestation de légende d’il y a 13 ans…. Vraiment pas.

Puis Beth, Geoff Barrow et leurs collègues de Portishead sont montés sur scène. Dès Silence, on a réalisé que la sono allait être im-pec-ca-ble, comme si les ondes allaient survoler la foule dense pour se diriger vers le large sans aucune réverbération. Et puis, LA voix s’est fait entendre ! Et là, je me suis pincé.

La musique de Portishead peut être dense, épurée, planante, hachurée, matinée de scratch, parfois même dissonante, mais dites-vous que c’est voulu. Ce groupe-là affiche une maîtrise peu commune de son art.

Durant Mysterons, quand on voyait la projection des deux halos lumineux verts comme dans la série Capitaine Scarlett (sacré clin d’œil, ça !), la voix de Beth nous faisait flotter en douceur dans l’espace. A l’inverse, pendant Cowboys, notre ouie était lacérée de sons décapants d’une rare agressivité. Une amie a même perdu temporairement l’usage de son oreille droite à ce moment. Lourd.

Parfois, les motifs répétitifs étaient à l’avant-plan, comme celui de la guitare durant Over, qui s’incrustait dans notre cortex. Tantôt, le minimalisme était à l’honneur, comme pour cette version d’une beauté à pleurer de Wandering Star, alors que Beth et le guitariste Adrian Utley, assis sur des chaises, revisitent le classique de l’album Dummy.

Ce sont, sans surprise, les titres de cet album de 1994 qui a marqué l’histoire du trip-hop qui ont été accueillis avec le plus d’enthousiasme. Fallait entendre la réaction de la foule aux premières notes de Sour Times dont la pulsion de la basse s’accordait le temps d’une chanson à nos propres battements de cœur.

Energique Third

Mais les compositions de l’album Third (2008) qui formaient près de la moitié de la performance, n’ont pas été en reste. Livraison émérite et en deux tempos bien distincts de The Rip, agrémentée de visuel animé, ainsi qu’attaque atomique de la bien nommée Machine Gun avec ses salves programmées de mitraillettes.

S’il fallait absolument opter pour un coup de cœur, je pense que Glory Box aurait ma faveur, elle qui a eu droit à un bridge instrumental syncopé à la puissance dix aux deux tiers de l’offrande, alors que les projections bougeaient sans cesse. Ça a fait boum !

Mais l’image la plus réjouissante de la soirée est indéniablement survenue à l’ultime rappel, lors de We Carry On. Durant la – longue – chanson lancée à fond de train qui a permis aux cinq musiciens de donner leur pleine mesure, Gibbons est descendue au parterre, pour aller saluer les fans.

Gibbons, que l’on voit constamment arc-boutée des deux mains à son micro, les traits graves comme si elle allait s’ouvrir les veines, la concentration à son maximum, presque immobile pour ne pas donner des inflexions non désirées à sa livraison vocale…. Cette Beth-là est remontée sur scène en sautillait comme une adolescente avec un sourire gi-gan-tes-que !

Une fiche de belle image inattendue pour résumer le sentiment collectif du groupe et des milliers de spectateurs. Que du bonheur en ce vendredi soir magique sous les étoiles.