Radiohead: transe, plaisir et grands frissons

Radiohead dispose d'une production exceptionnelle pour son actuelle tournée. Photo Wikipedia Commons.

La dernière fois que Radiohead est venu jouer dans l’amphithéâtre du Canadien, le Centre Molson accueillait un groupe de rock indie qui venait de lancer le disque (OK Computer) qui allait le faire rayonner sur la planète. Quatorze ans plus tard dans ce même aréna nommé désormais Centre Bell, la bande à Thom Yorke a rappelé à tous que l’avant-gardisme qu’elle affichait déjà dans les années 1990 a atteint des sommets à peu près inégalés par tous ses contemporains aujourd’hui.

Par Philippe Rezzonico

Ça ne faisait pas une minute que le groupe anglais s’était lancé dans une version endiablée de There There que je me disais que peu d’artistes peuvent rafraîchir à ce point leur proposition artistique. La There There en question était propulsée par l’habituelle batterie de Phil Selway à laquelle s’ajoutait celle de Clive Deamer, batteur invité pour cette tournée reposant principalement sur le disque The Kings of Limbs. Les amateurs de Karkwa étaient en terrain connu.

Non content de cette puissance majorée, Ed O’Brien et Jonny Greenwood avaient déposé leurs guitares pour doubler la mise avec des tambours. Jonny battait la mesure avec quatre baguettes, bordel !

En 1998, Radiohead était essentiellement un band de guitares qui effleurait d’autres influences. La parution de Kid A au tournant du siècle et de tous les autres albums depuis lors allaient leur permettre d’étendre leur spectre musical et c’est la quintessence de toute cette croissance que l’on a pu observer vendredi, de l’aérienne Bloom en ouverture, à l’éclectronique Separator, tout en passant par l’émouvante All I Need, interprétée par la foule sans même que Yorke ne le demande. Crois pas avoir jamais vu un parterre sans sièges si bondé au Centre Bell.

Resplendissant

Dire que ça rendait Yorke heureux est un euphémisme. Je voyais Radiohead pour la sixième fois en une quinzaine d’années et Yorke resplendissait sur scène. Était-ce la résultante de la victoire de l’Angleterre (3-2) contre la Suède à l’Euro quelques heures plus tôt? Je ne saurais le dire, mais l’Anglais a lancé sans arrêt des sourires à Jonny et à la foule.

Nous étions loin du Yorke qui donnait l’impression de vouloir s’ouvrir les veines ou de celui qui avait lancé un retentissant « Fuck you ! We wont do it ! » aux spectateurs montréalais en 1998, quand la foule ne cessait de scander « Creep ! » parce qu’elle voulait entendre le premier succès de Radiohead, succès que le band a remisé aux oubliettes depuis des siècles.

Comme d’habitude, Yorke nous gratifiait de ses pas de danse peu orthodoxes qui ressemblent un tantinet à un type sur le point de souffrir d’une crise d’épilepsie, mais jamais il ne s’était éclaté à ce point. Et ce ne sont pas les chansons qui lui manquaient pour le faire.

Spectre de couleurs

Morning Mr  Magpie et son tempo digne d’un TGV ont balayé le Centre Bell, Lotus Flower et son beat trépidant avaient de quoi réveiller un mort, Myxomatosis était irrésistible, tandis que Feral était déjantée à souhait.

Radiohead joue avec une complémentarité à faire frémir. Finalement, c’est une bonne chose que la tournée ne soit pas passée par Montréal au printemps. Là, la cohésion et l’abandon cohabitent sans problème. Du rock à l’électro, du planant au concret, de l’expérimentation sonore aux chansons de forme classique, Radiohead a généré des transes, du plaisir pur et de l’émotion franche.

Bien mieux, les chansons prenaient une personnalité particulière en raison des couleurs monochromes dans laquelle chacune d’entre elle baignait : vert avec zébrures à la Matrix pour The Gloaming, jaune éclatant pour Morning Mr Magpie, rouge sang pour Kid A, bleu profond pour Pyramid Song, etc. Pour un peu, je me serais cru chez Rona face au représentant de la section peinture qui aurait voulu me montrer toutes ses palettes de couleurs.

Grands frissons

Rare exception, la désormais légendaire Paranoid Android qui explosait sur des couleurs de bleu, de blanc et de rouge. Quelle version ! Une production visuelle exceptionnelle, donc, qui reposait sur l’efficacité d’écrans LED de toutes les dimensions. Ceux qui étaient suspendus au plafond pouvaient s’orienter de toutes les façons, variant agréablement le coup d’œil.

En revanche, si la réverbération dans le micro de Yorke était voulue pour la livraison de Kid A, on a regretté le parc Jean-Drapeau utilisé par Radiohead trois fois dans les années 2000 pour le son d’ensemble. Par moments, je n’étais pas certain si les transgressions auditives étaient voulues ou pas. Heureusement que Yorke a une voix qui peut survoler tout magma sonore.

Ça n’a empêché personne de léviter à l’écoute de Nude – le grand frisson de la soirée – , Street Spirit (Fade Out) – le plus ancien titre, extrait de The Bends – et de quitter l’enceinte en état d’apesanteur au terme d’une autre offrande épique de Everything In Its Right Place au terme de deux heures et dix minutes de prestation.