Rod et Steve: les Soul Men blancs

Rod Stewart au Centre Bell en 2011. C’était pareil, samedi. Seul les costumes étaient différents. Photo d’archives Catherine Lefebvre.

« I’m a soul man ! » chantaient Sam & Dave, à une époque où les dépositaires de la marque de commerce étaient Noirs. Mais il y avait quelques exceptions. Elvis, bien sûr, dès les années 1950, mais aussi Rod Stewart et Steve Winwood qui étaient parmi les rares Blancs à pouvoir chanter comme des artistes de couleur durant les années 1960.

Par Philippe Rezzonico

Ils étaient tous deux au même programme, samedi, au Centre Bell, pour une performance qui aura réservé son lot de surprises. Tous deux présents avec le passé glorieux de Winwood (Spencer Davis Group, Blind Faith, Traffic), les héros de Rod (Isley Brothers, Sam Cooke, Chuck Berry), ainsi que Georgie…. et notre ami Richard. Toute une soirée, en vérité.

En ouverture, Steve Winwood a démontré qu’il avait toujours ce timbre de voix si particulier qui était le sien au temps du Spencer Davis Group. Vêtu d’une chemise de chasse, le grand Steve caresse encore les touches de son orgue B-3 avec la même fluidité.

Flanqué de quatre musiciens émérites, Winwood a démontré toute l’étendue de son talent durant une heure. Il fallait entendre sa livraison soul-funk de I’m A Man (Spencer Davis Group), quand son saxophoniste a fait virevolter ses notes autour de la ligne mélodique du B-3. Du grand art. Ou encore le solo tout en crescendo de son guitariste pendant une version décapante de Low Spark of High Heeled Boys (Traffic).

Le grand Steve, désormais avec des favoris bien blancs, a perdu un tout petit peu de registre, comme on l’a constaté avec Higher Love, mais la qualité d’ensemble était très relevée. On aurait juste aimé que Rod prête ses choristes à Winwood pour mieux entendre les « Gimme, gimme some lovin! » de la bien nommée Gimme Some Lovin’, en clôture. Une performance couronnée de chaleureux applaudissements de la part du public de Rod, familier avec le répertoire de Winwood.

À peine quinze minutes plus tard, ont retenti les premières mesures de Harlem Shuffle (la version originale de Earl Nelson et Bobby Relf de 1963, pas la reprise des Stones), suivie immédiatement du thème des Magnificent Seven. Le retrait de l’immense rideau blanc a dévoilé la large scène, l’écran géant arrière, celui suspendu au centre, les six colonnes asymétriques et la douzaine de musiciens et choristes qui se lançaient dans This Old Heart of Mine.

Rod, vêtu de son complet argenté, et venu interpréter le succès des Isley Brothers alors que les images des Temptations, des Supremes et de Little Stevie Wonder défilaient derrière lui. Le ton était donné.

Rod était flanqué d’une dizaine de musiciens et choristes. Photo d’archives Catherine Lefebvre.

Qu’il livre Having A Party (Cooke), son classique des Faces (Stay with Me), sa reprise des Persuaders (Some Guys Have All the Luck) et ses propres tubes (You Wear it Well, Tonight’s the Night), l’intention demeure la même: aligner les tubes, laisser de la place à ses choristes, étirer les chansons avec les solos de saxo et de trompette de ses jolies musiciennes et se livrer à ses habituels pas de danse. Du Rod générique, déjà vu, toujours efficace, offert dans un écrin rétro et chic, digne du meilleur de Vegas.

Comme Winwood, Stewart a conservé son grain de voix si particulier, mais comme on l’a observé depuis quelques passages, sa voix le trahit parfois. Rod a eu beau indiquer qu’il luttait depuis trois jours contre le rhume et qu’il ne pouvait plus atteindre certaines notes, il a eu la classe d’ajouter « que vous vous en étiez déjà rendu compte. »

En revanche, il apprécie toujours l’apport musical de cette foule montréalaise qui a chanté à plein poumons le refrain de Tonight’s the Night. Il a d’ailleurs noté que c’était « samedi soir » et qu’il allait offrir des choses pas banales.

Avec Ruby

Après une Rythm of My Heart dédiée aux soldats d’antan et ceux d’aujourd’hui – on se serait passé de la finale criarde avec ses choristes -, Rod a cédé la place à sa fille Ruby qui est venue interpréter Just Another Day. La fille de Rod et de Kelly Emberg avait déjà participé à une tournée de son papa alors qu’elle était ado, mais cette fois, elle a pris le plancher toute seule. Et fort bien. La jeune femme a une bonne voix, bien meilleure que la fille de Tony Bennett.

Rod est revenu pour partager avec elle Forever Young avant d’amorcer le segment acoustique qui s’est amorcé avec une splendide The First Cut (Is the Deepest). Le groupe de Rod était accompagné d’une section de cordes toute montréalaise pour l’occasion. C’est à ce moment que Stewart a dédié la chanson suivante à Richard Burnett, notre collègue de The Gazette, qui avait publié une lettre officielle pour entendre Sailing, que Stewart n’a jamais chanté à Montréal.

Vouloir entendre « sa » chanson

C’est pourtant à une version mirifique de The Killing of Georgie (Parts I and II), auquel on a eu droit. Rod avait-il mal lu? Pas grave. Comblés, étions-nous, par cette livraison impeccable d’un bijou de rareté du catalogue de Stewart. Après l’incontournable Have I Told You Lately, rebelote avec une autre surprise, soit cette interprétation de Have Yourself a Merry Little Christmas, arbre de Noël et chute de neige artificielle en prime. Féérique, comme on dit.

C’est peut-être pour cette raison que bien des gens se sont levés au parterre pour entendre la toute nouvelle Can’t Stop Me Now, une chanson énergique calquée sur les classiques de Motown et Stax, dont Rod est bien fier. Et durant laquelle on voyait passer une photo de lui et de son papa disparu. Touchant.

Rod était même vibrant quand il a interprété presque dans la pénombre I’d Rather Go Blind, le classique d’Etta James, qu’il a enregistré avec Ronnie Wood en « trois prises et avec neuf bouteilles de vin » il y a plus de 40 ans. Il a conclu la chanson à genoux, en y mettant toutes ses tripes.

You’re In My Heart, dédiée à l’amour de Rod au ballon rond et au Celtic, l’équipe professionnelle de soccer d’Écosse qu’il détient en partie, a mis la table pour l’habituelle distribution de ballons que Rod lance ou botte dans la foule. Plus de 50, samedi soir. C’était la fête.

Sailing, enfin à Montréal

Puis, à la surprise générale, on voit (ré) apparaître sur l’écran la lettre de notre pote Burnett, qui a vu Stewart 31 fois sur scène. Notant « qu’il a assez attendu » Stewart se lance dans l’interprétation de Sailing. Mais pas à la va-vite. Stewart avait fait ressortir des images du clip des années 1970 pour l’occasion et la livraison conjointe avec ses choristes était parfaite. C’est quand même magnifique de voir que des artistes de légende ne soient pas des divas et donnent à leurs fans de longue date ce qu’ils désirent. La grande classe.

Il ne restait que Maggie May et Da Ya Think I’m Sexy? au programme : la dernière, avec chute de ballons provenant du plafond du Centre Bell, durant laquelle Stewart a fait apparaître sur l’écran sa célèbre citation au magazine Rolling Stone : « Je ne vais pas chanter « Sexy » à 50 ans et être une parodie de moi-même. »

Rien à craindre, Rod. Tu as beau avoir 68 ans, tu as toujours l’esprit et le cœur du jeune homme de 20 ans qui vibrait sur les vedettes de la soul.