Treize disques compacts dans le coffret. Ça en fait, des chansons à écouter… On l’a oublié parce que nous n’avons pas eu de nouvel album de Michel Pagliaro depuis 1988, mais il fut un temps ou Pag produisait des albums au rythme d’un ou deux par année.
Par Philippe Rezzonico
Tout Pag, ce Tonnes de flashs ? Pas tout à fait. Le plus ancien enregistrement, le 45 tours de J’ai marché pour une nation, remonte à 1969, tandis que le premier album réédité dans le boîtier remonte à 1971. Or, Pagliaro a commencé à graver des 33 Tours dès 1968.
Le coffret s’amorce donc avec le premier album de chansons anglophones, en 1971. On a volontairement exclu l’album de reprises de 1968 (Michel Pagliaro) paru chez DSP-International, quand Michel portait un beau veston, ainsi que les albums Pagliaro et Première époque, parus sous étiquette Spectrum. Après, tout y est.
Musique…
L’écoute de plus d’une centaine de chansons de Pag en boucle est de l’ordre de la redécouverte et nous rappelle quelques évidences. Ces temps-ci, des gens s’offusquent que des artistes québécois francophones chantent en anglais. Pagliaro n’a jamais fait de distinction. Il a toujours chanté dans les deux langues et il a eu autant de succès auprès des deux solitudes.
Alors que la plupart des artistes francophones issus de la pop chantaient des traductions des succès anglo-saxons au tournant des années 1960-1970, Pag chantait en anglais ses propres chansons, 40 ans avant que des francophones comme Pascale Picard, Simple Plan, Cœur de pirate, New Cities et autres Mobile se mettent à chanter dans la langue de Shakespeare.
Rayon efficacité, la tonne de riffs bétonnés et ravageurs de Pagliaro semble sans fin. Comment faire une chanson rock de trois minutes qui rentre au poste? Il ne sait faire que ça, le Pag. On vénère – à juste titre – un Gerry Boulet, mais on se dit que d’Eric Lapointe à Jonas, tout ceux qui font du rock au Québec sont redevables à Pag.
Et l’écoute de l’avalanche de chansons le prouve. Renumérisées avec soin, les chansons comprises dans Tonnes de flashs sonnent comme une tonne de briques. J’ai fait le test sur trois supports différents et le verdict est le même : à écouter à volume maximum.
…et enrobage
Si la musique est à la hauteur de la légende, on ne peut pas en dire autant du coffret. Je peux vivre avec les pochettes de carton mou, mais hormis deux courtes présentations rédigées par les éminents collègues de La Presse (Alain Brunet) et The Gazette (Juan Rodriguez), c’est quand même incroyable qu’une intégrale couvrant deux décennies n’ait pas droit à un livret biographique sérieux.
C’est rageant de devoir aller sur un site web (www.pagliaro) pour retracer un tant soit peu son parcours. Et pourquoi n’a-t-on pas reproduit les pochettes originales, vu que l’on réédite les albums à l’unité ? Comprends pas. Si le mastering a été fait avec minutie, l’emballage a été produit à la va-vite. Sur ce plan, les Américains de Rhino ou les Québécois de Disques XXI ont un sens de l’histoire que Musicor n’a pas.
Mais comme c’est la musique qui prime, voyons ça en détail. Pour chaque CD, on a inscrit le nom qui prévaut dans le coffret et celui de l’album original
Rainshowers
Pagliaro (1971, Much)
Ce disque contient la légendaire chanson-titre, qui est probablement la meilleure ballade rock anglophone de l’histoire du Québec, et les classiques Lovin’ You Ain’t Easy et Some Sing, Some Dance. On repère les influences du jeune Michel sur plein d’autres titres. Voix pas loin de celle de McCartney pour It Ain’t the Way et effluves à la Van Morrison, période Brown Eyed Girl, pour Sugar Lips. La surprise : le Theme From Ravenwood Burne, dont la minute et demie instrumentale en amorce semble être la charpente qui a servi aux Tragically Hip pour écrire New Orleans Is Sinking près de 20 ans plus tard.
J’entends frapper
Pag (1972, RCA Victor)
La première version de J’entends frapper – plus piano à la Johnny Johnson que guitares – et celle de Fou de toi voient le jour. Révolver Bang Bang est pas mal hard pour l’époque, tandis que Maintenant que l’on s’aime est déroutante avec sa saveur country et l’ajout d’une trompette. Redécouverte préférée : Prisonnier d’enfer avec son B-3. On se serait passé de Rio Reggae. Moins solide que le précédent, comme si le Pag de ce temps-là était plus à l’aise en anglais qu’en français.
Pag Live
Pagliaro Live (1973, RCA Victor)
Les bombes, ce n’est pas qu’une chanson de 1987. Les bombes, c’est ça ! Pag, « live », jeune (25 ans), déchaîné, explosif ! Une voix du tonnerre, des guitares dans le tapis (Jam’ aux fruits), des riffs pour décaper la peinture (Mama River, Ring Ring 861- ????), des reprises furieuses (Miss Ann, Revolution), des ballades d’inspiration fifties (Faut tout donner), de la pop saveur british années 60 (Pour toi, Pour toi) et des tas de succès déjà consacrés (J’ai marché pour une nation, Fou de toi, M’Lady, Lovin’ You Ain’t Easy, J’entends frapper). Et la jeune fille qui partage Histoire d’amour avec Michel, c’est bien la jeune Nanette. Album essentiel.
Ça va brasser
Pagliaro (1974, RCA Victor)
Disque partagé de reprises francophones de classiques anglos ainsi que de compositions originales en français. Devinez lesquelles se trouvaient majoritairement sur la face A? Oui. Les covers. Mais quels covers ! Un peu comme les Beatles et les Rolling Stones avant lui, Pag dynamise Pas le temps, Tu m’étourdis Miss Lizzy (Slow Down et Dizzy Miss Lizzy, de Larry Williams), Ça va brasser et Comment (Around and Around et Come On, de Chuck Berry). Je me dis que si la compagnie de disque du temps avait mis de l’avant Le King du monde et Viens danser, ces deux titres originaux seraient peut-être devenus des monuments. Seule Ti-Bidon est demeurée dans nos mémoires.
Rockers
Rockers (1974, RCA Victor)
Autre album de reprises en anglais et en français. RCA ne se cassait pas la tête. Mais ça cogne. Pour avoir vu Chuck Berry et les Rolling Stones interpréter Little Queenie sur scène, disons que la version de Pag est de l’ordre de la déflagration. Un disque apparemment superflu, mais qui fait comprendre de quoi Pagliaro se chauffait dans le temps.
What The Hell I’ve Got
Pagliaro I (1975, CBS)
Pag passe de RCA Victor à CBS en 1975. Second souffle et année mémorable. Vous vous souveniez que J’entends frapper ait eu droit à une version anglaise nommé How Does It Feel ? Pas moi. Elle est ici. Tout comme la version english de Louise et Walking The Dog (de Rufus Thomas, traduite en français avec Faire le trottoir). Le chef d’œuvre : la chanson-titre qui est peut-être la composition la plus achevée de Pag en anglais. Quel bridge de guitares et de cordes !
Louise
Pagliaro (1975, CBS)
Quand ce disque arrive dans les bacs de disquaires, la jeunesse friande de rock découvre Louise, Faire le trottoir, Si tu voulais, Dans la peau, Emeute dans la prison, Lucille, Château d’Espagne et les nouvelles version guitares mur à mur de J’entends frapper et Fou de toi qui sont passées à l’histoire.
Toutes ces chansons sont devenues des classiques et ont été rééditées ad nauseam sur des compilations. Toutes, sauf El Chicano. On peut débattre jusqu’à demain matin au jeu des comparaisons avec des albums de légende comme Jaune, Journée d’Amérique, Beau Dommage, Chat sauvages et le tout catalogue d’Offenbach. Mais comme on dit en langage de boxeur, livre pour livre, ce disque a probablement le plus grand nombre de hits jamais regroupés sur un disque québécois de matériel original paru à l’ère du vinyle. THE disque du coffret.
Le temps presse
Aujourd’hui (1976, CBS)
Autres chansons passées à la postérité comme Le temps presse et Gloire à nous, mais également des titres vibrants oubliés comme Rock N’ Roll, des atmosphères planantes (Odysée, Aujourd’hui), des curiosités (Chow Mein) et une bien curieuse ballade blues nommée C’est ma fête.
Time Race
Time Race (1977, Columbia)
Version anglaise bien sentie de Le temps presse (Time Race), superbe reprise de Dock of the Bay, magnifiques Happy Together, Last Night et Fall In Love: ce disque méconnu du public francophone est parmi les belles (re) découvertes du coffret.
Rock n’ Roll
Rock n’ Roll (1978, Martin)
Toujours surprenant de constater à quel point Pag pouvait loger un lot de chansons qui allaient passer à l’histoire sur un seul album. Ici, ce sont C’est comme ça que ça roule dans l’nord, L’ennui cherche un amour, T’est pas tout seul à soir et Bâton rouge. Mais quel choix éditorial mal avisé que d’amorcer le disque par la longue instrumentale (six minutes) funk et psychédélique Spiderwoman ?
Travailler
Bamboo (1981, Trans-Canada)
Si un disque doit démonter le talent de Pagliaro, c’est peut-être celui-là. Comprendre, faire beaucoup avec peu. Travailler est essentiellement une instrumentale et Romantique possède deux couplets et demi de paroles. Elles sont pourtant incrustées dans notre mémoire à cause de mélodies accrocheuses. Et quand vous aller réentendre Cadillac, Palissade Boogie et Rock à Ahaha Billy, vous allez noter qu’il y a quelques vers d’oreilles.
Sous peine d’amour
Sous peine d’amour (Alert, 1988)
Il existe deux versions de cet album. La première, sur laquelle on retrouvait It’s Love et Rock Someboby. La deuxième, où les deux chansons ont été remplacées par Les Bombes – qui dénonçait la vente d’armes – et Dangereux – qui parlait d’amour non protégé dans les premières années du SIDA. Toutes deux parues l’année précédente sur la compilation d’Aquarius, Pag avant. On a inséré ici les 11 titres. Avec L’Espion, Coup de cœur, Héros et Juke Box, on a là un autre album digne d’une compilation de grands succès.
Pagliaro 1969-1989
Regroupement des 45 Tours parus au cours des ans, on a la première version de J’ai marché pour une nation, M’Lady, Revolution, Mon cœur et la nouvelle chanson, Tonnes de flashs, qui, fidèle au passé de Pag, décape avec une ligne de guitare bétonnée.