EAST RUTHERFORD, New Jersey – La toute première série de spectacles du E Street Band dans le tout jeune stade Metlife, le 63e anniversaire de naissance du Boss et une succession de concerts marathons étalés tout l’été qui laissaient présager que Bruce Springsteen et ses copains allaient pulvériser leur record pour le plus long show de leur carrière. Pas de doute, le plus récent week-end ne pouvait se vivre ailleurs qu’aux alentours des marécages du New Jersey.
Par Philippe Rezzonico
Pas question, cela dit, de se farcir plus de 600 kilomètres de route pour assister uniquement au spectacle du 22 septembre qui précédait l’anniversaire de l’Américain. Programme double obligatoire pour l’occasion, avec des billets de parterre pour la soirée du 21 et d’autres dans les gradins le lendemain. Vous voulez vivre le périple de l’intérieur ? Suivez le guide.
Vendredi, 21 septembre
6h00 : départ en voiture de Montréal avec deux potes. Très matinal, cela va de soi, car personne ne veut être au parterre… au fond d’un stade. Trop loin, en comparaison avec un aréna. En revanche, les 1000 premiers détenteurs de billets qui se présentent au Metlife Stadium se voient remettre un bracelet qui leur permet d’assister au spectacle dans une fosse réservée surnommée « pit ».
12h30 : arrivée au parking du stade après un voyage sans histoires. Le stationnement n’ouvre qu’à 13h, mais plus de 400 personnes font déjà la queue. Mes amis descendent de la voiture et vont se placer en ligne. Je les retrouve vers 13h10. Nous serons parmi les 1000 spectateurs les mieux placés parmi les 55 000 qui seront sur place. Durant l’attente, on réalise qu’on aime le t-shirt de la dame qui « déteste les couvre-feu », une référence au spectacle du E Street Band à Hyde Park (Londres) qui fut « débranché » par le promoteur alors que Paul McCartney était sur scène avec le Boss.
14h20 : distribution des bracelets avec dix minutes d’avance. Nous avons les numéros 539, 540 et 541. Nous quittons le stade pour nous enregistrer à la réception de notre hôtel situé à une dizaine de minutes de là.
17h : retour au stade. Heureusement que le talon du billet de parking du début d’après-midi était valable pour réintégrer ce dernier. À 25 $ pièce, ce n’est pas donné. En fait, officiellement, ce n’est pas permis, mais un joli sourire, une demande polie et une préposée sympathique arrangent les choses. Retour dans la file d’attente. Le numéro 51 est tiré. Ce spectateur sera le premier à rentrer dans l’enceinte, puis, celui qui a le numéro 52, etc.
17h30 : les spectateurs entrent dans l’ordre prescrit, mais la fouille est toujours sérieuse et minutieuse à l’entrée d’un stade dans la région de New York, surtout pour ceux qui ont des sacs très chargés. Ceux qui n’en n’ont pas gagnent plusieurs places. À l’entrée, nous constatons que nous sommes bien plus près que nous le pensions, soit à une vingtaine de pieds de la petite scène centrale. Tant mieux, nous allons passer là plusieurs heures avant le coup d’envoi.
18h : deux jours plus tôt, lors du premier de la série de trois spectacles, Springsteen était venu offrir deux chansons en mode acoustique à 18 heures, alors qu’il n’y avait que les amateurs massés dans la fosse présents dans le stade. Nous n’aurons pas cette chance.
20h30-23h40 : après trois heures d’attente passées dans la bonne humeur et dans des conditions climatiques parfaites, la musique de Frank Sinatra (Summer Wind) se fait entendre et le E Street Band monte sur scène. Pour un type dans mon genre qui compte les spectacles de Springsteen par paquets de dix, le plaisir est d’entendre au moins une chanson jamais entendue. Vendredi, je n’ai pas eu à attendre longtemps.
Bruce est descendu sur la petite passerelle, a regardé une affiche d’un fan et a lancé : « Je pense qu’on l’a connaît, celle-là! » Nous avons eu droit illico à Living On the Edge of the World, chanson festive de bar gravée par le E Street en 1979. Springsteen connaissait la chanson, en effet, mais il l’avait un peu oubliée. Pas grave. Le fan en question avait imprimé les paroles et le Boss a saisi les feuilles pour compléter l’interprétation avant de déchirer les feuillets.
Le ton était donné. Rarement un spectacle de Springsteen aurait été aussi imprévisible que celui-là. Hormis l’enchaînement de We Take Care of Our Own, Wrecking Ball, Death to My Hometown et My City of Ruins qui est stable dans cette tournée et la présence – hélas! – assurée de Waiting On a Sunny Day, nous n’avions aucune idée de ce qui s’en venait.
Night, This Depression, Lost In the Flood
Retour d’une furieuse Night – peu jouée dans cette tournée Wrecking Ball – présence d’une sombre et puissante This Depression et succession de titres des albums de 1973 : ce spectacle s’adressait à priori aux vieux fans du New Jersey et d’ailleurs.
La livraison de Lost in the Flood fut d’une rare intensité, tandis que Does This Bus Stop at 82nd Street? n’a jamais été aussi belle qu’avec l’ajout des cuivres.
La totale? Le doublé de Incident On 57th Street en version magnifiée et la tornade Rosalita (Come Out Tonight). Avoir Springsteen et Steve Van Zandt à 20 pieds de toi durant cette interprétation, ça modifie de beaucoup la perspective. Croyez-moi.
Le coup de cœur? Le carré de raretés formé de Jolé Blon, This Little Girl Is Mine, From Small Things (Big Things One Day Comes) et Talk To Me. Les deux premières avec Gary U.S.Bonds lui-même. Springsteen avait composé ces chansons pour Gary il y a plus de 30 ans. Une spectatrice avait une affiche sur laquelle était inscrit Jolé Blon. Le Boss a été la chercher en disait que ça faisait 95 shows qu’il la voyait.
« Ça fait combien de temps que vous attendez cette chanson? », a-t-il demandé.
« Toute ma vie! » a hurlé la dame. Imaginez sa tête quand Bonds s’est pointé sur scène.
Nous n’étions pas remis de la frénésie de This Little Girl Is Mine que Springsteen a lancé la ligne de guitare de From Small Things.., titre enregistré en 1979 dont l’Anglais Dave Edmunds a fait un succès au début des années 1980. Sauf erreur, la dernière fois qu’elle fut jouée sur scène fut lors du show numéro 8 de l’ancien Giants Stadium, à l’été 2003. Je me souviens… parce que je n’avais assisté qu’aux spectacles 9 et 10 et que je l’avais ratée.
Du gros rock de garage estampillé New Jersey qui a précédé la fougueuse Talk To Me, chanson d’amour au tempo frénétique que Springsteen avait composée entre les albums Born To Run et Darkness On the Edge of Town. Folie totale dans la fosse. Du moins, de mon point de vue… C’est d’ailleurs souvent le cas lors du spectacle central d’une série de trois : le premier tient compte de la présence des médias (plus de chansons connues), le second est pour les fans de longue date (les raretés) et le troisième est, d’ordinaire, le plus rassembleur.
23h40- 2h + : quand tu es stationné – trop près – du Metlife Stadium avec des milliers de voitures et de véhicules utilitaires dans le parking, tu sais que ça prend deux heures pour en sortir. Pas grave, après un show relativement court de 3 heures et 10 minutes – du moins, selon les standards du Boss cette année – , nous étions tous convaincus qu’on allait surpasser la marque de quatre heures et six minutes établie le 31 juillet à Helsinki dans moins de 24 heures.