EAST RUTHERFORD,New Jersey – En toute franchise, passer une douzaine d’heures dans un stade et son stationnement relève de l’exploit physique. Il faut l’avoir fait au moins une fois pour avoir le plus grand respect pour les amateurs de Springsteen, de U2 et des Rolling Stones qui le font sur une base régulière, plusieurs fois lors d’une tournée de leurs favoris.
Par Philippe Rezzonico
Pour ma part, le fait de savoir que nos billets étaient répartis dans différentes sections du Metlife Stadium pour le spectacle de samedi soir n’était pas pour me déplaire. La poignée d’amis du Québec que nous formions était dispersée au hasard des disponibilités de billets, mais dans tous les cas, un siège nous attendait. Ce que nous ignorions alors, c’est qu’il n’allait servir à rien. Récapitulatif du Jour 2.
Samedi 23 septembre
18h00 : arrivée dans le stationnement du stade, véhicule garé non loin de la sortie, dix minutes de pluie fine durant une heure et demie d’attente et de la bouffe santé. Sérieux. Je n’avais encore jamais mangé de carottes crues ou de céleri durant un «tailgate», expression consacrée pour les rassemblements qui précédent les matchs de football, de baseball, ainsi que les grands spectacles rock aux États-Unis.
Et certains spectateurs vivent l’expérience avec un réel faste. À deux bagnoles de la nôtre, un gros véhicule utilitaire noir s’est garé. Les jeunes (20-30 ans) gens originaires du New Jersey ont loué ledit véhicule et réservé un chauffeur. Se rendre à un spectacle de stade avec chauffeur privé. Mmm… Faudra y penser un de ces jours.
19h45 : entrée aisée dans la grande enceinte, salutations avec les amis qui se dispersent et… stupeur lors de l’entrée dans le stade. Au parterre, il n’y a absolument personne tandis que plusieurs milliers de spectateurs occupent déjà leur siège. Quid?
D’autres amateurs nous expliquent que les responsables de la sécurité n’ont pas admis les quelques 4 000 amateurs qui doivent être au parterre en raison des risques de foudre, danger auquel les amateurs massés d’entre les gradins n’étaient pas exposés, il faut croire…
20h10 : nous ne perdions rien pour attendre. On annonce l’évacuation du stade en raison de conditions dangereuses. Il n’y a pourtant pas de pluie, ni un souffle de vent. Certains spectateurs obtempèrent d’emblée, d’autres se font prier, mais nous finissons tous par quitter l’enceinte. Quand ce sont des policiers plutôt que des gardiens de sécurité qui te disent de sortir, tu as intérêt à obéir.
20h30 : nous étions plus ou moins à l’entrée de la section 135, dans le couloir en pente, quand un policier est venu nous dire de reculer sous le béton. C’est là qu’il a hurlé le mot « hail » et c’est là que j’ai compris que l’évacuation était nécessaire. Trois minutes plus tard, une pluie forte est passée en quelques instants au statut de trombes d’eau, de déluge, de chutes Niagara… Ça tombait avec tellement d’intensité que par moments on ne voyait presque plus les lettres géantes « Metlife » installées au sommet du stade qui étaient à quatre cent mètres de nous.
Pendant plus d’une heure et demie, nous sommes restés coincés dans les couloirs et les autres passages du stade, entassés comme des sardines, balayés par les courants d’air. Aller acheter un hot-dog ou une bière pouvait prendre une demi-heure alors que le comptoir était situé en réalité à 20 mètres. Ça, c’était sans compter la flotte qui s’infiltrait dans les couloirs. Pourtant, personne ne perdait le sourire. Interrogation : le spectacle pouvait-il être reporté au lendemain?
21h45 : on nous annonce que le déluge achève et que nous allons pouvoir réintégrer le stade dans quelques minutes. Et surtout, que nous allons avoir droit à un spectacle complet. Belle réaction dans les coursives.
22h00 : on retourne à l’air libre. Plus de danger d’éclairs mais il pleut encore sérieusement. Pas question de s’assoir. Tout le stade ressemble à un Titanic qu’on viendrait de renflouer. Un peu risqué pour les amateurs qui entrent au parterre en courant pour être les mieux placés. Il y a des flaques d’eau partout.
22h30 : au son de In the Midnight Hour, de Wilson Pickett, le E Street Band arrive sur scène et Springsteen note qu’il a invité « 55, 000 personnes à mon anniversaire! ». Et le groupe nous balance la festive Out in the Street. En une minute, tout le monde oublie la fatigue. Rarement vu une foule aussi déchaînée si tôt. Il est vrai que la quantité de houblon consommée par les spectateurs e n’était pas loin d’égaler celle de la pluie qui s’est abattue sur le stade. ..
Tel un express lancé à toute allure, le E Street Band a mis la pédale au fond durant les 45 premières minutes, alternant les hymnes (Badlands) et les chansons rarissimes (Cynthia). Comme on s’y attendait quand la flotte est de la partie, la légendaire Who’ll Stop the Rain, de CCR, s’est invitée, mais également l’explosive Cover Me, tout à fait de circonstances.
L’urgence s’est fait sentir tout au long de ce spectacle, comme si Springsteen savait qu’il jouait contre l’horloge. Celle du temps, il ne pouvait pas s’y opposer, et après avoir chanté Janey Don’t You Lose Heart, la foule, spontanément, s’est mise à lui chanter Happy Birthday sur le coup de minuit.
Donc, le E Street a enchaîné avec In the Midnight Hour. On a clairement entendu Springsteen préciser les clés de notes à sa bande de musiciens. Indispensable, le groupe n’avait pas joué cette chanson depuis 32 ans. Franchement, on avait l’impression qu’elle avait été jouée la veille.
Une version apocalyptique de It’s Hard To Be a Saint In the City, rayon guitares, une vivifiante et presque foraine Pay Me My Money Down, le retour de Gary U.S. Bonds et le doublé assommoir de Because the Night-She’s the One ont été les faits saillants de la portion centrale du spectacle. Avec une section de cuivres et de percussions, rien n’est impossible pour ce groupe.
Comme la veille, le dernier droit allait être gigantesque. Entendre Meetin’ Across the River colorée par la splendide trompette de Curt Ram était émouvant, mais pas autant que lorsque le violon de Suzy Tyrell a annoncé Jungeland, l’une des mythiques chansons de Born To Run ponctuée naguère du solo de trois minutes de Clarence Clemons.
Interprétée avec parcimonie durant la tournée Wrecking Ball, il s’agissait de la première interprétation de ce titre au New Jersey avec Jake Clemons, le neveu de Clarence. La passation définitive des pouvoirs. Le couronnement. Le sacre. Pieds bien plantés au sol, souffle puissant, Jake a tenu toutes les promesses mises en lui. Il fallait voir Springsteen s’agiter à ses côtés puis l’enlacer après ce moment homérique.
1h : tout de suite après Jungleland, le rappel. Un rappel à une heure du matin. Madonna est déjà couchée à cette heure après un spectacle et elle a près de dix ans de moins de Springsteen. On voit le Boss s’approcher du micro avec son harmonica à la main. Confirmé : Thunder Road s’en vient. Ahhh!!!! Cet harmonica… Tous, liquéfiés de bonheur. Surtout quand Springsteen amorce la première phrase et nous dit de chanter à sa place. Ciel désormais dégagé, cri surpuissant de la foule au moment du « Show a little faith, there’s magic in the night! »… Magie, en effet.
1h45: Elle se poursuivra encore 45 minutes avec Born To Run, Seven Nights To Rock (Springsteen avait un goût de rock de garage ce week-end), Dancing in the Dark – quand le Boss danse avec l’épouse de Steve Van Zandt – et autres Tenth-Avenue Freeze Out. C’est un quart d’heure avant deux heures du matin qu’apparaît le gâteau d’anniversaire géant, Adele, la Boss du Boss, le beau-frère, la belle-sœur, etc.
Springsteen tranche le gâteau et va en porter aux fidèles du parterre, puis, après avoir mis des bouchons dans les oreilles de sa mère âgée de 87 ans, on termine avec Twist and Shout tout juste avant le coup de deux heures. Tout ça pour un marathon de trois heures et demie durant lequel 20 (!) des 33 chansons offertes n’avaient pas été interprétées la veille. Pensez-y…
En deux soirs, nous avons eu droit à six heures et 40 minutes de prestation pour 61 chansons, incluant 48 titres différents, et neuf chansons qui n’avait pas été interprétées depuis le début de la tournée. Seulement 13 titres ont été livrés lors des deux spectacles. Un fichu de rapport qualité-prix pour des billets à 130 $ pièce. Et on adore ça à Jersey. Contrairement à Londres, il n’y a pas de couvre-feu. ..
2h45 : Plus près de la sortie, on quitte cette fois le stade un peu avant trois heures en se disant que la seule chose qui manquait : c’est le record de durée. Record que nous aurions eu, n’eut été de Dame nature. Springsteen avait répété d’autres raretés comme Where the Bands Are et Give the Girl a Kiss en après-midi, mais il se disait probablement que deux heures du matin, ce n’était vraiment pas chiche. La prochaine fois? Il faudra revenir, en attendant une date pour Montréal en 2013.