Leonard Cohen : toujours notre homme!

Poésie, voix, classe et distinction dans un seul homme: Leonard Cohen. Photo courtoisie Sony.

Tous, à genoux. Comme l’a fait Leonard Cohen lui-même, mercredi, à maintes reprises durant son spectacle présenté au Centre Bell. C’est bien la moindre des choses que les 12, 562 admirateurs qui ont assisté à l’exceptionnel tour de chant du poète montréalais devraient faire. Hallejujah!, a-t-on le goût d’ajouter.

Par Philippe Rezzonico

Grandioses retrouvailles, donc, entre le mythique Leonard et un public qui n’attendait que ça depuis son trio de spectacles offert en 2008 à la salle Wilfrid-Pelletier. Sûrement pas grandioses par le faste. Non. Un simple rideau en arrière-scène, les deux écrans habituels du Centre Bell sur les flancs et de jolis tapis persans sur lesquels Cohen s’est agenouillé toute la soirée.

Pas moins de 14 fois, si je me fie à mon calepin de notes. Un peu comme si le poète implorait la terre, son public, ses amours et ses dieux d’un même souffle, ce qui était parfois le cas quand on tient compte de ce qu’il a interprété durant ce marathon de deux heures et 55 minutes.

Cela démontrait surtout que Cohen était dans une forme optimale en regard de celle de sa tournée de 2008-2010, tournée durant laquelle son dos l’avait fait souffrir. Il faut noter que le chantre montréalais reprenait du service après 15 ans d’absence de la scène en 2008.

L’aisance même

Cette fois, on voyait que Cohen avait retrouvé tous ses repères. Sautillant comme un gamin en entrant sur scène, courbé vers le sol en chantant avec ferveur (Everybody Knows), droit comme un chêne en jouant de la guitare (Who By fire), solennel, chapeau sur le cœur, en observant ses fabuleux musiciens livrer des solos inspirés, et transcendant en récitant des poèmes qui subjuguent l’assistance (A Thousand Kisses Deep) : Cohen était impérial.

Je ne sais trop, d’ailleurs, si nous avons jamais vu une foule plus recueillie au Centre Bell qu’au moment où la voix grave et profonde de Cohen récitait A Thounsand Kisses Deep. Le temps semblait s’être arrêté. La scène, qui ressemblait à un grand salon des années 1970, avait soudainement l’air d’être le point central d’une église où le prêtre Leonard accueillait ses ouailles.

Faisait allusion au lieu où il se trouvait qui lie  « de grandes batailles » (les matchs de hockey) et « de grandes voix » (les spectacles), Cohen a su faire vibrer les cordes sensibles des femmes durant une irrésistible Ain’t No Cure For Love et se faire charmeur à outrance avec I’m Your Man.

Sur le fond, la tournée Old Ideas fut très similaire à celle de son retour en pleine lumière. Nombre d’incontournables du corpus de création de Cohen se trouvaient placées sensiblement au même endroit dans le spectacle : ouverture avec la splendide Dance Me to the End of Love, milieu de parcours pour la gigantesque Tower of Song (cette fois, en ouverture de deuxième partie) et dernier droit pour First, We Take Manhattan, vitaminée.

Les arrangements concoctés par le bassiste, contrebassiste et directeur musical Roscoe Beck étaient d’une lumineuse beauté. Seules variantes : l’absence du saxophoniste Dino Soldo pour cette tournée a modifié diverses colorations et ponts instrumentaux. Durant Bird on The Wire, naguère, la longue finale se déclinait avec un solo de guitare et un de saxophone. Mercredi, uniquement le guitariste Mitch Watkins était mis à contribution.

Belle intégration

Les nouveaux titres de Old Ideas ont été aussi appréciés que nombre de classiques : Darkness, avec l’ouverture du Hammond B-3 de Neil Larsen, était du tonnerre; Anyhow, qui mettait en vedette «l’esclave» Leonard, exultait d’effluves celtiques; tandis que Going Home, au rappel, a permis à Cohen d’ironiser à son sujet en évoquant un type « bâtard paresseux vêtu d’un complet.»

Avec sa voix grave et profonde, Cohen attise l'ouïe et le désir. Photo courtoisie Sony.

Cohen sait aussi être un excellent capitaine et joueur d’équipe. En tant que chef du navire, il cède complètement le plancher à Sharon Robinson qui hypnotise le Centre Bell en interprétant Alexandra Leaving et il fait de même en permettant aux Webb Sisters (Charley et Hattie) de nous mener au paradis avec une guitare, une harpe et leurs voix d’ange durant It With Be Your Will.

Le coéquipier, lui, partage à merveille In My Secret Life avec Robinson – peut-être la plus belle mélodie qui soit – et les quatre voix s’unissent à merveille pour nous faire frissonner avec Waiting For a Miracle.

Comme, on disait plus haut, parfois, le grandiose était au rendez-vous. Suzanne fût immense, avec les ombres géantes de Cohen et de ses musiciens qui réfléchissaient sur les rideaux. Hallejujah, comme d’habitude, nous a menés au ciel. Il fallait voir le sourire éclatant que Cohen lors de l’ovation de la foule…

Pour sa part, So Long Marianne a provoqué un mouvement de foule de nombre de femmes vers l’avant-scène. Peut-être bien la chanson qui a été le plus spontanément interprétée par les spectateurs.

Définition même de la classe, Cohen a présenté trois fois plutôt qu’une ses splendides accompagnateurs. Tous étaient méritoires, mais le jeu tout en finesse de Javier Mas aux bandurria et au laud et celui d’Alexandru Bublitchi au violon était exquis.

Après la bien nommée Closing Time, 28e titre au menu, Cohen a déposé son micro au sol en s’agenouillant une fois de plus devant nous. Et pour lui rendre son salut, à défaut d’être à genoux, nous étions tous debout.