Ah! Jane…

Birkin qui chante Gainsbourg. Une affaire qui ne date pas d'hier. Photo d'archives.

Depuis qu’elle interprète son Serge, Jane Birkin nous a offert Gainsbourg sous diverses formes. Cette fois, le spectacle s’intitulait Jane Birkin & Serge Gainsbourg via Japan en raison de la présence de musiciens nippons. Au final, on arrive chaque fois au même immuable constat. Sur scène, Jane ne vit que par procuration afin de faire vivre son Serge le plus longtemps possible. Et c’est exactement pour ça que l’on y retourne sans cesse…

Par Philippe Rezzonico

Bien sûr, il y a des tas de variantes. Jeudi, dans le Métropolis, nous avions quatre – excellents – musiciens japonais pour seconder Jane qui a conservé son aura d’ingénue même si elle comptera 65 printemps la semaine prochaine.

C’est lors d’un passage au pays du Soleil levant, après le tsunami et l’accident nucléaire, que Birkin s’est liée d’amitié avec les artistes locaux avec qui elle avait donné un concert-bénéfice. C’est là qu’a germé cette idée de tournée revisitée de l’œuvre de Gainsbarre avec des musiciens asiatiques.

Chansons dotées de nouveaux arrangements, donc, titres jamais interprétés par Lady Jane et, faut admettre, sélection pas trop grand public : les habitués des passages de Birkin ont vu quelque chose qu’ils n’avaient pas vu auparavant. J’en suis. Donc, je peux vivre sans avoir eu La Javanaise, Couleur café ou Je suis venu te dire que je m’en vais. Pour ceux qui voyaient Jane pour la première fois, j’ai un doute.

Ce que tous ont retrouvé par contre, c’est cette abnégation de Jane envers son Serge disparu il y a deux décennies cette année. Cette capacité d’être Gainsbourg sur les planches à sa place. Ce n’est pas nouveau, mais ça semblait plus frappant que lors de son dernier passage à la PdA, de l’autre spectacle d’avant et même du temps du Spectrum.

Lorsque Charlotte Gainsbourg a entonné quelques chansons de son paternel lors de son premier passage à Montréal, avec le micro d’une main, l’autre dans la poche de son jeans, et le regard dirigé vers le plancher, on avait l’impression de voir son père. Sauf que je percevais la pose comme étant de l’héritage. Jeudi, lorsque Jane, dans un pantalon noir et une chemise blanche, a pris la même pose, je trouvais que c’était du mimétisme.

Curieuse sensation qui s’est heureusement dissipée dès que Birkin affichait son sourire éclatant durant les applaudissements. Dans sa tête – si je peux me permettre -, ces bravos ne lui sont jamais destinés. C’est à Serge qu’ils sont adressés.

Inédites de scène

Pourtant, elle a dû travailler ferme en vue de cette tournée. Requiem pour un con, qui a ouvert le spectacle, Birkin a dû l’apprendre tant elle lui était méconnue. Encore plus vrai pour la superbe Les amours perdues, qu’elle a admis ne pas connaître. Gainsbourg l’ayant écrite «il y a 50 ans», c’était en effet dans sa période jazz, bien avant la pop. Le beau trombone bien gras était chaleureux à souhait.

Nous sommes aussi sortis des sentiers battus avec des tas de chansons. En rire de peur d’être obligé d’en pleurer fut probablement celle parée des arrangements les plus audacieux avec un violon mordant qui faisait contrepoint au trombone rond. Les arrangements de Ces petits riens étaient dignes de mention, le refrain étant lent et mélodique, tandis que les couplets reposaient sur un tempo presque saccadé, tel un tango.

Rayon chansons que l’on ne croyait jamais entendre dans notre vie de la part de la muse de Gainsbourg : Con c’est con ces conséquences et Classé X (joli phrasé dans les deux cas), Amour des feintes (superbe) – qui fut la dernière chanson écrite par Serge pour Jane -, ainsi que Le couteau dans le play, un peu Comic Strip de facture.

Pop chaleur

Comic Strip, justement, fut l’un des moments forts, quand la violoniste de Birkin s’est amenée dans les escaliers du Métropolis pour assumer la portion de Brigitte Bardot dans ce classique de la pop, traversant le parterre en chantant les «  Shebam! Pow! Blop! Wizz ! » de circonstance. C’est là, aussi, qu’on a réalisé que c’était un peu froid jusque-là, le Métropolis n’étant pas la salle idéale (un peu vaste) pour ce genre de spectacle cabaret. On aurait pris deux soirs à L’Astral à la place.

Birkin elle-même s’est frayé un chemin entre les tables et les chaises lors d’une longue version de Mon amour baiser qui lui a permis de présenter toute l’équipe technique et de nous expliquer comment l’un d’entre eux l’avait dépannée à la suite de la perte de son passeport le matin même. Elle est comme ça, Jane. Elle met tout le monde en lumière… sauf elle. Particulièrement vrai durant la présentation de ses musiciens, quand Haine pour aime est devenue prétexte à des solos dignes des meilleurs shows de jazz.

Émotion pure

Mais faut admettre que c’est en mode minimaliste qu’elle fait mouche avec le plus d’impact, quand elle chante Jane B. comme si elle était habitée. La ballade de Johnny Jane, qu’elle a interprétée assise sur scène, c’était savoureux. Fuir le bonheur de peur qu’il se sauve, c’était émouvant, alors que La chanson de Prévert était de l’ordre de la magie.

Pour ma copine Frédérique, le coup de cœur était probablement Ah ! Melody, pour quiconque tient Histoire de Melody Nelson comme huitième merveille du monde. Personnellement, Baby Alone In Babylone, presque opératique dans la livraison, m’a semblée géante.

Alors? La prochaine fois, si prochaine fois il y a ? Après Gainsbourg diversifié (chanson française, effluves jazz, mouture arabisante, musiciens nippons), ce sera quoi ? Peu importe. Il y aura Jane. D’abord et avant tout.