Les spectacles et festivals attirant des dizaines de milliers de spectateurs ont tellement monopolisé l’attention à Montréal en 2011 qu’on pourrait presque oublier les autres. Faut pas. Il y a eu des moments inestimables de musique vécus sans que 20, 40 ou 80, 000 personnes soient à nos côtés.
Par Philippe Rezzonico
Des jeunes, des moins jeunes, des vétérans et mêmes des vieux (ce n’est pas péjoratif, vous verrez) ont retenu notre attention, peu importe leur genre musical de prédilection.
Et même en ajoutant dix spectacles aux dix « messes » dont je faisais allusion la veille, j’ai toujours l’impression d’en mettre de côté. J’aurai probablement moins de choix l’année au cours de laquelle j’irai voir moins de 150 shows, mais je n’ai pas l’impression que ça sera pour 2012. Allez… Deuxième service.
1 – Sonny Burgess and the Pacers, 3 septembre (Lion d’Or) : Tous les ans, il y en a un. Un show dont tu sors en te disant : « C’est impossible ! Je rêve, là… » En 2011, ce fut celui-là. Sonny Burgess a 80 ans, tout comme son pianiste Kern Kennedy. Et la moyenne des autres Pacers est de 75 ans, environ. Pourtant, Sonny a joué de la guitare comme un Chuck Berry âgé de 30 ans, Kern a joué du piano comme un Jerry Lee Lewis qui en aurait 20 et tout le monde a livré Red Headed Woman et We Wanna Boogie avec la même folie déjantée que sur les enregistrements de 1956 dans les studios de Sun Records, cris de délire en prime. Je n’en suis pas encore revenu…
2 – Tigran Hamasyan Quintet, 28 juin (Gèsu) : Soufflés. Ébahis. Renversés. Mettez le qualificatif ou le superlatif que vous voulez, le pianiste Tigran Hamasyan et ses collègues ont fait l’unanimité avec leur projet Arrata Rebirth. Explosions sonores ou atmosphères de jazz de recueillement, l’Arménien contrôle tous les environnements avec un jeu sur les ivoires qui va de la vitesse la plus supersonique à la touche la plus délicate qui soit. Renversant.
3 – Portishead, 7 octobre (Quai Jacques-Quartier) : Ça ne pouvait pas être aussi bon qu’au Métropolis en 1998. Surtout pas en extérieur… Beth Gibbons, Geoff Barrows et leurs collègues en avaient décidé autrement. Sono impeccable, voix aérienne de Gibbons toujours au poste, Mysterons, Wandering Star, Sour Times, Glory Box… Tout était parfait. Et les nouvelles compositions de Third étaient aussi bonnes que les classiques. Grandes retrouvailles.
4 – Bon Iver, 5 décembre (Métropolis) : Il y a des soirs, un groupe peut être touché par la grâce face à un public qui écoute sa musique avec une attention inimaginable de nos jours. C’était ça. Recherche sonore, mélodies enveloppantes, efficience musicale, finesse des instrumentistes… Du bonbon. Et quand Justin Vernon a livré re : Staks armé de son dobro et de sa voix de fausset, nous étions subjugués dans ce silence ab-so-lu-ment total. Majeur.
5 – Esperanza Spalding, 27 juin, (T. Maisonneuve) : Aucun spectateur présent à ce spectacle ne se demande pourquoi Esperanza Spalding a raflé au nez de Justin Bieber le trophée Grammy de la révélation de l’année en février. Chaise haute, table basse, lampe et verre de vin pour installer l’ambiance de Chamber Music Society, puis, une heure et demie durant laquelle la contrebassiste a joué, chanté, interprété, dansé et transcendé son œuvre toute fraîche où cohabite sans heurts jazz et musique classique. Maîtrise.
6 – Heart, 5 février (Wilfrid-Pelletier) : Celui-là, il était entouré sur mon agenda. Les sœurs Wilson n’étaient pas passées à Montréal depuis deux bonnes décennies. Ann ? Voix souveraine, impériale, dominante. Nancy ? Chevelure rousse balayant le visage et mains lestes sur le manche. Magic Man, Crazy On You, Heartless, Straight On, Barracuda… Tout y est passé. L’antithèse de Robert Plant. Les sœurs Wilson ne renient pas leur passé et peuvent encore chanter leurs classiques comme si elles avaient 25 ans.
7 – Bob Dylan, Asbury Park (Convention Hall): Ça en prend toujours bien un à l’étranger… Bob, 70 ans, plus en forme qu’il n’y a dix ans, fraternisant avec la foule – oui, oui – et vu dans l’antre de Springsteen. On espérait que le Boss se joigne à lui, mais non. Pas grave. Sa livraison envoutante de Ballad Of A Thin Man valait à elle seule le détour au New Jersey.
8 – Brad Mehldau solo, 25 juin (Gèsu) : Chaque fois, il me fait le même effet. Pas différent cette fois. Écouter Mehldau jouer de son piano, c’est jumeler l’esthétisme de cet instrument à la relecture de classiques jazz et pop dans toute leur splendeur. Tu ne veux pas qu’il cesse de jouer. Cette fois, il nous a tenu soudés à nos sièges pour deux heures de bonheur.
9 – Chubby Checker, 21 avril (T. Maissoneuve) : Un show de has been ? On avait peur. Encore plus que pour les Pacers. Faut croire que Chubby boit la même potion magique que Sonny. Avec ses Wildcats, le monsieur de 70 ans a twisté et twisté encore, sur scène, dans les allées et même en traversant une rangée de sièges en largeur au parterre, comme si nous étions en 1960 ou 1961 : voix puissante, du souffle et plus de 50 spectateurs avec lui sur scène pour The Twist et Let’s Twist Again. Pétaradant.
10 – Jackson Browne, 9 avril (Salle Wilfrid-Pelletier) : En 2009, Jackson Browne passe au FIJM dans une Wilfrid comble et ne joue pas le quart de ses immortelles. Deux ans plus tard, il revient au même endroit dans une salle vide – personne à la mezzanine et au balcon – et il joue absolument tout en formule acoustique : Running On Empty, Take it Easy, Rosie, Cocaine (la sienne), The Load-Out, Stay… Tout. Rédemption totale et tant pis pour les absents.
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