« C’est vraiment renversant », a lancé Justin Vernon, leader du groupe Bon Iver (prononcez bon hiver en français), au deux-tiers de sa performance, lundi, au Métropolis. De notre point de vue, on avait envie de répondre : « En effet ».
Par Philippe Rezzonico
Il s’est passé quelque chose d’exceptionnel dans la salle de la rue Sainte-Catherine : ce moment rarissime où un groupe n’est pas loin d’être touché par la grâce face à un public qui écoute sa musique avec une attention presque inimaginable de nos jours.
Il est vrai que le petit papier remis aux spectateurs à l’entrée qui demandait à la foule de se taire quand il le fallait n’a certes pas nui. Mais quand même… Cette foule n’avait rien à voir avec celle, plutôt bavarde, qui a parfois saboté le show de Feist, samedi, dans cette même salle.
Coup de cœur de l’indie rock il y a trois ans avec le magnifique For Emma, Forever Ago baigné dans le folk nappé de voix surmultipliées, Bon Iver est pratiquement méconnu du grand public, mais pas de la faune universitaire et jeune adulte qui remplissait à ras-bord le Métropolis. Jeune comme de 18 à 22 ans…
Cela est sur le point de changer, bien sûr, avec des nominations aux Grammy en poche pour le gala de février prochain. Mais au-delà de la frénésie qui entoure ce collectif américain de neuf musiciens, c’est un groupe débordant de créativité et faisant preuve d’une cohésion remarquable qui nous aura littéralement jeté sur le cul.
Inclassable
Comment résumer ? L’instrumentation, d’abord. Neuf musiciens, disais-je, mais plusieurs pouvant jouer plus d’un instrument. Bref, on parle de deux batteries, un percussionniste, deux violons, trois saxos (incluant un baryton), clarinette, trombone, trompette, deux ou trois guitares, basse, claviers et quoi encore ? C’est tout. Non. J’oubliais… Cor anglais, aussi.
Imaginez un groupe avec les formidables harmonies vocales des Wondermints (le groupe de Brian Wilson) disposant de la puissance rythmique de Karkwa (à cause des deux batteries), qui évoque parfois le Liberation Music Orchestra de Charlie Haden (en raison du jeu non-conformiste des cuivres), mais qui sait naviguer dans des eaux indie/rock (comme Arcade Fire). Débile, hein ? Ben, c’est à peu près ça. Le truc inclassable.
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Si Bon Iver, paru en 2011, est plus étoffé au plan sonore que son prédécesseur, jamais je ne m’attendais à une telle claque dans la gueule sur scène. Bon, il est vrai que le volume était démesurément fort en début de programme. Quand les boys ont ouvert avec Perth, on a cru que c’était l’ingénieur de son de Metallica qui avait fait les réglages.
Hormis ce détail, c’est la recherche sonore, l’efficience musicale et la finesse qui ont triomphé. Très souvent, j’ai pensé à Beck, durant ce show. Bon Iver – du moins, sur scène – est probablement l’équivalent du petit génie des années 1990 en ce sens que le collectif fusionne des tas de genres qui ne sont pas d’emblée compatibles, mais dont la juxtaposition est saisissante en raison de la dextérité des musiciens.
Variations sonores
Fallait entendre Blood Bank. Après un inspiré solo de sax que n’aurait pas renié Wayne Shorter pour faire le pont après Holocene (ainsi, aucun temps mort), les boys ont amorcé la chanson sur ce qui peut être perçu comme un cri plaintif et lancinant, ont monté la cadence avec un tempo saccadé et ont ouvert la machine à fond dans une envolée qui faisait penser à un délire contrôlé de Thom Yorke pour conclure le tout en une finale explosive. Rien à voir avec la version sur disque.
Ils ont répété un peu le même manège avec Creature Fear. Dotée d’une mélodie superbe, cette offrande a chaviré dans les excès de cuivres qui allaient de la fanfare au baroque pour épouser sans retenue la forme jazz-rock, alors que le jeu de lumière était en synchronisme avec le tempo des musiciens. Percutant.
Ces fusions sonores contrastaient avec certaines livraisons épurées. Aucune ne pouvait être plus dépouillée que celle de re : Staks. Après avoir parlé de son séjour à Montréal, de dope et de mini-wheats, Justin, armé de son dobro et de sa voix de fausset, a subjugué son auditoire. Parfois, je me dis que le silence ab-so-lu-ment total de 2300 personnes vaut le bombardement le plus tonitruant. Quelle écoute !
Il était intéressant de voir comment ce groupe peut enjoliver ses chansons d’antan qui étaient offertes sur le premier disque dans une enveloppe plus minimaliste. Dieu que l’apport de trois cuivres a métamorphosé For Emma, sans aucunement amenuiser son apport mélodique.
A l’inverse, ce furent une guitare (celle de Justin), les deux batteries, la mesure battue par la foule, et les voix conjuguées de tout le collectif qui ont transporté Skinny Love, coup de cœur et chanson fétiche d’une jeune génération qui se reconnaît dans le texte.
Quand le collectif a conclu avec une version participative de The Wolves, je me suis dit que ça ne prendra pas trois ou quatre ans avant de revoir ce groupe en ville. On parie qu’on le voit au Festival de jazz, à l’été 2012?